Le cinéma
entre mémoire et renaissance numérique

Par Diana Landi, 8 octobre 2025 à 11:08

Arts en scène

La tenue de la première édition du World AI Film Festival à Nice au printemps 2025 a marqué une étape décisive pour le cinéma et la création visuelle. Pour la première fois, l’intelligence artificielle y est apparue comme une entité à part entière cocréatrice d’imaginaires nouveaux. À travers courts-métrages générés par IA et récits immersifs, ce festival d'un nouveau genre a exploré l’hybridation entre technologie et créativité, questionnant les notions d’auteur, d’œuvre et d’imaginaire collectif. Dans un contexte où cinéma, jeux vidéo, branding et storytelling s'entremêlent de plus en plus, le WAIFF esquisse un avenir où l’IA devient un langage au service des émotions, des idées et du sens. La deuxième édition « augmentée » est prévue à Cannes les 21 et 22 avril 2026, quelques jours avant le Festival international des Séries. Le début d'une révolution culturelle dont nous sommes aux premières loges.

Les technologies d’IA transforment en profondeur les industries créatives et bouleversent les cadres traditionnels de la création narrative. En s’appuyant sur des outils multimodaux comme Sora d’OpenAI, Runway Gen-4 et ElevenLabs, les créateurs disposent désormais de moyens inédits pour concevoir des récits visuels et sonores d’une richesse sans précédent. Ces technologies ne se contentent plus de soutenir la production, elles participent activement à l’élaboration du récit.


Dans le secteur des jeux vidéo, l’IA permet la génération dynamique de dialogues, la construction procédurale d’univers et l’adaptation des comportements narratifs en fonction des choix du joueur, ouvrant la voie à des expériences hautement immersives et personnalisées.


Du côté du cinéma et de la télévision, l’IA s’intègre aux étapes de préproduction (développement visuel, prévisualisation) et influence même l’écriture scénaristique, avec des modèles de langage capables de générer des structures narratives et d’interagir avec les auteurs dans un processus de co-création.


L'IA générative est un nouvel acteur de la narration contemporaine et cette transformation est illustrée par plusieurs évolutions majeures qui ont marqué 2025. SIGGRAPH 2025 a mis en avant les visuels génératifs en temps réel, fondamentaux pour les nouveaux formats immersifs et la création de mondes virtuels cohérents. SXSW 2025 a exploré la convergence entre IA et storytelling, en montrant l'impact de l'IA sur la culture et l’identité narrative. La Venice Biennale College Cinema a ouvert la voie à des laboratoires de co-création entre IA et réalisateurs, dévoilant de nouvelles esthétiques cinématographiques. Tribeca Immersive s'est concentré sur les récits interactifs intégrant des agents génératifs et des narrations non linéaires, ce qui a offert des expériences immersives inédites. Les ProTalks du WAIFF 2025 ont débattu les enjeux de l’hybridation entre IA et narration filmique, interrogeant les rôles de l’auteur dans un contexte de récits cocréés avec la machine.


Vers un storytelling augmenté, l’IA comme partenaire narratif


Il était une fois… un temps où raconter des histoires relevait exclusivement de l’humain. Aujourd’hui, à l’ère numérique, l’intelligence artificielle redéfinit cet art ancestral et il serait réducteur de n'appréhender ce bouleversement que comme une simple modernisation des outils. Il s’agit d’une mutation profonde de la manière dont les récits naissent, évoluent et touchent leur public. L’intelligence artificielle ne se limite plus à des fonctions techniques, elle devient un véritable acteur du processus créatif. Plusieurs outils comme ceux développés par OpenAI ou encore par les plateformes Sudowrite et Novelcrafter, sont aujourd’hui capables d’accompagner les auteurs bien au-delà de la simple assistance. Ils proposent des pistes d’intrigue, ils enrichissent les portraits de personnages, ils contribuent à rendre les dialogues plus fluides et naturels.


Mais l’apport de l’IA va plus loin encore. En modifiant les méthodes de narration, elle permet d’ajuster le rythme et les émotions d’un récit en fonction des attentes du public, elle permet d’assurer la cohérence d’univers complexes dans des genres comme la science-fiction ou le thriller, elle permet de créer des récits singuliers qui s’adaptent en temps réel dans des environnements interactifs comme les jeux vidéo ou la réalité virtuelle. Grâce à cette flexibilité, chaque expérience narrative peut devenir unique. Cette transformation soulève toutefois des interrogations majeures. Si une machine participe à l’écriture d’une histoire, qui en est réellement l’auteur ? Comment préserver l’originalité, la sensibilité et la diversité des voix humaines dans un contexte où l’IA peut produire des récits standardisés ? Et comment s’assurer que ces outils ne reproduisent pas, voire n’amplifient pas, les biais présents dans les données qui les alimentent ?


Des acteurs puissants s'approprient aussi ces nouvelles techniques et la mode et la publicité ne sont pas en reste quand il s'agit de les utiliser. Dans un contexte où les marques cherchent à se différencier par des expériences émotionnelles fortes, l’intelligence artificielle s’impose discrètement - et efficacement - comme un nouvel outil narratif. Des campagnes comme Le Bambino de Jacquemus ou les vidéos stylisées de Motorola illustrent cette transformation. L’IA crée des récits visuels immersifs, poétiques et émotionnels, où le produit devient prétexte à imaginaire plutôt qu’objet à promouvoir. Cette nouvelle esthétique, mêlant storytelling, art numérique et technologies émergentes, s’exprime pleinement dans les festivals avant-gardistes comme ASVOFF ou le Sarajevo Fashion Film Festival. L’IA devient à la fois muse, langage et outil créatif. Grâce à des plateformes comme Runway, Lalaland.ai ou DRESSX, les marques conçoivent désormais des univers complets et singuliers, façonnés par des images qui touchent sans imposer et qui racontent sans afficher. Ce glissement marque un tournant. La communication visuelle devient plus fine, plus émotionnelle. L’IA n’élimine pas l’acte artistique, elle le prolonge et l’élargit, donnant naissance à une publicité subtile, immersive et - de plus en plus souvent - signifiante.


La révolution créative est en marche et l'enjeu est de maintenir élevée la part d'humanité...

Parution magazine N°50 (septembre, octobre, novembre)

Qu’en pensez-vous ?

Donnez-nous votre avis

Pour vérifier que vous êtes une intelligence humaine, merci de répondre à ce questionnement lunaire.