La Technologie au service du Patrimoine
De Tech à tech

© Adobe Stock
Le patrimoine culturel est un héritage commun qui reste fragile. Aujourd’hui, l’expertise humaine peut compter sur les avancées technologiques pour l’aider à prendre soin des monuments, des œuvres d’art, des sites naturels et archéologiques ou encore du patrimoine immatériel.
Dendrochronologie, photogrammétrie, relevé LiDAR… Explorons ce croisement entre tech et patrimoine à travers le regard passionné d’Antoine Madelénat, architecte en chef des Monuments historiques dans les départements des Alpes-Maritimes et de Seine-Maritime.
D’emblée, Antoine Madelénat souligne l’antinomie apparente entre patrimoine et technologie. « Je travaille avec des restaurateurs de peintures, qui parlent avant tout de technologie en termes de réalisation d’œuvres et d’objets. C’est l’analyse technologique, l’étude des matériaux et des techniques qui ont été employées, qui vont permettre de justifier et de construire le projet de restauration. » Pour traiter des problématiques sur des objets complètement hors norme, comme les arcs-boutants d’une cathédrale en pierre, « on n’est pas dans l’empirisme. On utilise la technologie pour faire des modélisations, pour arriver à justifier, à comprendre ce qui se passe. On fait coïncider notre modèle avec la réalité, et ensuite on peut faire des propositions de restauration, de consolidation, etc. » Les modélisations permettent d’avoir accès à des endroits invisibles et d’être plus précis sur des parties qui seraient inaccessibles.
Antoine Madelénat souligne cependant qu’avec les images est apparue une nouvelle manière d’approcher la réalité. « Ça éloigne physiquement des objets sur lesquels on travaille. On perd un peu cette approche tactile, où on allait fureter dans les charpentes... » La technologie a tout son sens dans la préservation du patrimoine mais l’objet doit rester central : « On va utiliser tous les moyens à notre disposition, la technologie, mais aussi ce que l’approche plus physique nous permet de faire. »
L’architecte cite un exemple frappant : la rénovation de la charpente de la cathédrale de Paris. Cette structure avait été modélisée numériquement. Un élément qui a été majeur pour que la rénovation soit faite à l’identique après l’incendie de 2019 n’a tenu qu’à une curiosité d’étudiant : « Un architecte a eu la bonne idée quand il était étudiant d’aller faire un relevé en regardant comment ça se passait dans les assemblages de charpente. Le modèle numérique aurait servi certes, pour donner des dimensions, mais il n’aurait jamais donné les informations pour savoir comment les assemblages étaient faits. »
Plusieurs projets menés dans les Alpes-Maritimes
Grâce à la photogrammétrie1 et au relevé laser ou au LiDAR2, la numérisation 3D rend possible la création de répliques numériques très précises des monuments et des sites historiques. Les datations au carbone 14 et les microscopes à balayage électronique figurent également parmi les outils utilisés.
Mais connaissez-vous la dendrochronologie3 ? « C’est un formidable outil pour dater les charpentes. » Antoine Madelénat cite deux exemples de restauration qui ont bénéficié de cette méthode de datation des bois, « à la croisée entre l’archéologie et l’architecture ».
Pour l’Isba de Valrose à Nice, maison traditionnelle ukrainienne en bois importée de l’Est au 19e siècle par un aristocrate russe, la dendrochronologie a enrichi la connaissance. À Sauze, cette technologie a été un véritable apport pour le projet de restauration de l’église : « On a découvert que la charpente datait du 16e siècle. » Il a alors été décidé de la préserver, ce qui n’était initialement pas prévu.
À Grasse, avec la restauration du Palais épiscopal , « il s’agit de restituer un état médiéval d’un bâtiment qui a été modifié de manière importante au cours des 18e et 19e siècles. L’apport de la modélisation numérique et du calcul numérique a permis de justifier une structure qui garantit la solidité de l’ouvrage, notamment face aux risques de séisme. »
Ces exemples illustrent combien la technologie, loin de se substituer à la main de l’homme, vient éclairer les choix des restaurateurs.
Un accès augmenté au patrimoine
Au-delà de l’aide qu’elle apporte en phase de restauration du patrimoine, la technologie permet de rendre visible et accessible notre héritage culturel. La modélisation 3D est ainsi venue au secours de la grotte Chauvet en Ardèche, classée au patrimoine mondial de l’Unesco. Trop fragile pour accueillir le public, avec ses peintures rupestres vieilles de plus de 36 000 ans, elle a fait l’objet d’une réplique fidèle, la grotte Chauvet 2, qui offre au grand public la possibilité de découvrir ce patrimoine exceptionnel sans mettre en péril l’original.
D’autres initiatives ont misé sur la restitution virtuelle pour redonner vie à des monuments disparus. Ainsi, à Cluny, en Saône-et-Loire, la création numérique de l’abbatiale Cluny III et les dispositifs de réalité augmentée ont redonné vie à un édifice dont il ne reste que des vestiges. Grâce à des bornes interactives, les visiteurs voient les parties disparues superposées au paysage actuel et l’architecture renaît sous leurs yeux.
Les musées ne sont pas en reste. Le Louvre illustre le renouveau de l’expérience des spectateurs avec ses parcours virtuels en ligne. Certaines salles et expositions, comme celles de la Petite Galerie, se visitent en 360° et permettent de découvrir les œuvres accompagnées de leurs explications. Le musée met également à disposition une base de données, Collections, qui rassemble plus de 500 000 œuvres consultables depuis chez soi. Ces outils élargissent l’accès au Louvre, offrant une approche complémentaire à la visite sur place.
Autre exemple marquant : le projet La Basilica di San Pietro : an AI-Enhanced Experience, fruit d’une étroite collaboration entre le Vatican, Microsoft et la start-up française Iconem. Spécialisée dans la numérisation du patrimoine culturel mondial et la création d’expériences immersives, Iconem a rassemblé plus de 400 000 photographies et relevés ultra-détaillés. Après plus de deux ans de travail, ce matériau a donné naissance à une application web proposant une réplique 3D d’une précision exceptionnelle de la Basilique Saint-Pierre du Vatican. Les visiteurs peuvent y suivre des visites guidées prédéfinies, enrichies d’annotations et d’images d’archives. Ils découvrent ainsi la richesse architecturale de la basilique, des détails invisibles depuis le sol ou encore des espaces habituellement fermés au public. Ce projet conjugue médiation et conservation.
Et la technologie explore désormais les profondeurs marines. Grâce à la réalité virtuelle, il est possible de s’immerger comme de véritables plongeurs et de partir à la découverte du patrimoine culturel subaquatique, qu’il s’agisse d’épaves anciennes ou de sites engloutis. Ainsi, en 2023, le projet européen CREAMARE a rendu accessibles, grâce à un modèle 3D très détaillé, les vestiges du Lombardo, un bateau à vapeur du 19e siècle utilisé par Giuseppe Garibaldi et naufragé en 1864 près des îles Tremiti, en mer Adriatique.
Ces initiatives mettent en lumière la technologie comme levier d’inclusion culturelle. Des expériences immersives et interactives permettent d’attirer et de séduire de nouveaux publics, en particulier les plus jeunes.
Fragile par nature, notre patrimoine trouve donc dans la technologie un allié précieux. Les nouveaux outils permettent d’éclairer les décisions pour restaurer un monument, de sauvegarder la mémoire d’un héritage culturel, de créer des expériences immersives pour le grand public ou encore de surveiller l’état des œuvres en laboratoire.
Ils ne remplacent pour autant ni le savoir-faire des spécialistes, ni l’émotion de la rencontre directe avec une œuvre. Et l’avenir du patrimoine continue de se jouer dans cette complémentarité : l’expertise humaine et l’innovation technologique, réunies pour faire vivre et pour transmettre notre mémoire collective.
Si la préservation est une œuvre collective, elle repose aussi sur des acteurs engagés comme la Fondation du Patrimoine, qui rappellent que la sauvegarde de notre héritage n’est pas seulement une affaire de technique, mais de responsabilité partagée.
Ce regard rejoint celui des spécialistes de terrain.
Laissons le mot de la fin à l’architecte Antoine Madelénat qui rappelle l’importance de préserver la connaissance de la matérialité :
« La technologie, oui, complètement… Sans oublier que les choses sont formidablement complexes, avec parfois des poids démesurés. Pour une église en pierre, on parle de milliers, voire de dizaines de milliers de tonnes qui sont suspendues au-dessus de nos têtes. Il faut beaucoup de prudence…
1. La photogrammétrie est une technique de mesure qui consiste à déterminer la forme, les dimensions et la situation d'un objet dans l'espace à partir de plusieurs prises de vues photographiques de cet objet.
2. LiDAR est l'acronyme de « Light Detection and Ranging », qui signifie « détection et télémétrie par la lumière ». Cette technologie utilise des faisceaux laser pour mesurer les distances avec précision, ce qui permet d'obtenir des distances précises et des cartes 3D détaillées.
3. La dendrochronologie est une méthode de datation par l’étude des anneaux de croissance des troncs d’arbre. Il existe des bases de données en France et au-delà, avec la séquence des saisons et la connaissance des effets qu’elles ont sur la croissance des arbres. Le croisement de ces séquences et d’éléments datant sur des bois permet de dater ces bois, c’est-à-dire de trouver la date précise, à la saison près, à laquelle ils ont été abattus.
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