Le Monde du silence
Plongée dans l’acoustique sous-marine

Par Emmanuel Maumon, 2 septembre 2024 à 10:57

De Tech à tech

Implantée à Sophia Antipolis, Seagnal est une entreprise spécialisée en acoustique sous-marine. Forte de ses compétences, elle s’est forgée une solide réputation dans les milieux spécialisés. Très agile de par sa petite taille, c’est cette même caractéristique qui la limite aussi pour passer à l’échelle supérieure et obtenir des commandes de matériel plus importantes dans le secteur de la Défense. Dès lors, Seagnal se tourne de plus en plus vers les activités civiles pour assurer son avenir.

L’aventure de Seagnal débute avant même sa création avec un bureau d’études, iXWaves, implanté à Sophia Antipolis. Spécialisé en acoustique sous-marine, en propagation et en électronique, iXWaves était une filiale de la société iXblue. En 2012, cette société s’est restructurée et a voulu regrouper ses activités sur des sites plus importants dont celui de La Ciotat. Un site que n’a pas souhaité rejoindre l’équipe de Sophia qui a préféré se séparer d’iXblue pour créer sa propre entité : Seagnal.


Petite équipe, grosses pointures…


Une SAS présidée par Michel Eyries, un ancien officier de marine qui a fait beaucoup d’acoustique sous-marine à bord de sous-marins au début de sa carrière. Il a ensuite passé de nombreuses années au sein de Thales Underwater Systems avant de travailler pour iXWaves, puis de cofonder Seagnal en 2012. L’entreprise compte également dans ses rangs Laurent Kopp comme directeur scientifique. Très réputé pour ses travaux dans le traitement de signal, ce polytechnicien vient de recevoir le prix Emile Girardeau décerné chaque année par l’Académie de Marine pour récompenser des travaux de caractère scientifique. Une preuve que malgré sa petite taille, Seagnal dispose de grosses pointures.


Outre Michel Eyries et Laurent Kopp, les autres actionnaires sont tous des ingénieurs en électronique ou en informatique spécialisés dans l’acoustique sous-marine. Depuis 2012, la société Seagnal s’est développée en s’appuyant sur le travail de ses six fondateurs, mais aussi en se basant sur ses contacts très étroits avec la Marine nationale. Elle a ainsi mené à bien des expérimentations de nouveaux algorithmes et de nouveaux procédés afin d’optimiser les différents systèmes de cette dernière en matière de sonars.


Des compétences reconnues dans le domaine de la Défense


Aujourd’hui, Seagnal dispose de compétences reconnues dans le domaine de la Défense et a développé différents types de sonars, aussi bien actifs que passifs. Seagnal a notamment mis au point une technologie qui prend les signaux des hydrophones et des antennes acoustiques qui existent dans les sous-marins et les bateaux de surfaces. Elle s’interface sur ses signaux et les traite pour montrer de nouveaux algorithmes. Le traitement est fait de manière autonome avec ses propres équipements et logiciels.


Seagnal est également très impliquée dans les communications acoustiques numériques. Elle a notamment développé des numériseurs de signaux hydrophoniques, qui ont des bandes de fréquence assez larges. Parmi eux, un numériseur 32 canaux à très bas bruit est particulièrement performant. Ces numériseurs mesurent 13 cm par 3 cm et sont utilisés à plusieurs pour adresser jusqu’à 512 hydrophones afin de numériser les signaux analogiques.


Des démonstrateurs pour la Marine nationale


Compte tenu de ses compétences en matière d’acoustique sous-marine, Seagnal a été sollicité par la Marine nationale et la direction générale de l’Armement pour réaliser plusieurs démonstrateurs. Définies en collaboration, ces expérimentations visent à améliorer telle ou telle performance des systèmes de défense, par exemple pour la communication entre les sous-marins et les bateaux de surface. Compte tenu du caractère confidentiel de ces sujets, Jérôme Durif (Business Development Manager de Seagnal) n’a pas souhaité nous en dire beaucoup plus sur les caractéristiques de ces démonstrateurs. Il nous a cependant révélé que la société avait atteint des performances remarquables lors de ces expérimentations.


Dans le domaine sous-marin de Défense, géants du secteur et start-ups se côtoient et collaborent régulièrement mais la réalité reste contrastée et les effets de taille ont leur importance. Ainsi, sur un projet en particulier du domaine de la lutte sous-marine, Seagnal a joué le jeu de la collaboration en sous-traitance avec un grand groupe. Après 18 mois passés à demander amples informations techniques et financières et malgré l'augmentation capacitaire que Seagnal avait prouvée à la mer, le grand groupe a décidé de continuer seul au motif que Seagnal était trop petit…


Le dimensionnement structurel de Seagnal est un paradoxe en soi. C’est le garant de son agilité. Et c’est dans le même temps sa principale limite sur les marchés Défense.


Un avenir tourné vers les activités civiles


Les sonars ne servent pas uniquement à des fins de défense, ils sont aussi couramment utilisés pour des activités civiles. C’est un domaine vers lequel Seagnal se tourne de plus en plus et qui devrait prendre de l’importance dans les années à venir. Déjà, avec son partenaire brestois Octech, Seagnal propose des solutions pour le contrôle de la pêche et pour éviter la prise accidentelle de dauphins dans les filets de pêche. La technologie mise en œuvre par Seagnal permet notamment de transmettre les informations de chaque sonde sur le navire sans attendre la remontée du chalut.


Dans le domaine civil, Seagnal nourrit des ambitions plus grandes encore dans la surveillance et la protection des futures éoliennes offshore qui vont être implantées un peu partout en Europe. Ainsi, à l’horizon 2030, des champs d’une trentaine d’éoliennes de près de 200 mètres de hauteur vont voir le jour en mer à de grandes distances de la côte. Seagnal est en train de définir un système de surveillance destiné à prévenir le risque terroriste de venir faire exploser certaines éoliennes et la sous-station électrique en particulier. Des sonars actifs permettront de détecter les plongeurs qui viendraient s’immiscer dans le champ d’éoliennes et s’avancer vers les équipements critiques.


Les sonars s’avèrent également très utiles pour la recherche scientifique et en particulier pour la caractérisation des fonds marins. Avec pour partenaires Arkeocean et Bourbon Subsea Services, Seagnal participe au projet DESPOT (DEep Swarm POsiTionning) qui vise à développer un système de GPS sous-marin qui permettra à une multitude de drones de connaître leur positionnement exact sous l’eau. C’est la société partenaire Arkeocean qui conçoit ces petits robots d’un mètre de long qui, par centaines, pourront mener des actions coordonnées pour explorer les fonds marins. Des fonds encore très largement méconnus dès que l’on dépasse 3 000 mètres de profondeur. Pour ce projet, Seagnal développe actuellement un système pour géolocaliser ces drones. En surface, un navire va tracter avec un câble une base profonde dotée d’un sonar qui constituera l’élément fondamental pour que chaque drone sous-marin autonome puisse savoir où il se trouve précisément.


Vers une recherche de partenaires financiers


Si jusqu’à présent Seagnal a surtout mené une activité de bureau d’études spécialisé dans l’acoustique sous-marine à des fins militaires, elle s’oriente progressivement vers les activités civiles. Pour Jérôme Durif : « L’idée est de créer de nouveaux produits et systèmes que l’on commercialiserait par dizaines, plutôt que ce soit un seul démonstrateur ». En effet, si Seagnal a démontré ses compétences dans le domaine militaire, les commandes de la Marine nationale sont toujours restées au stade du démonstrateur et il n’y a pas eu de passage à l’échelle supérieure.


À un horizon de trois ou quatre ans, les perspectives de développement de Seagnal dans le civil s’avèrent plus prometteuses. Assez rapidement, ses activités dans ce domaine devraient dépasser largement celles liées à la défense. Pour ce faire, Seagnal envisage le recrutement de plusieurs ingénieurs, ne serait-ce que pour le projet DESPOT pour lequel elle a déjà obtenu un financement de la part de la BPI.


Un virage structurel important reste à noter. Si la société s’est toujours développée sur fonds propres jusqu’à présent, Seagnal envisage aujourd’hui d’ouvrir son capital et de faire appel à des investisseurs. Elle n’a pas encore initié cette démarche mais a commencé à formaliser des business plans pour le développement du volet civil qui adresseront les cinq à dix années à venir. Un appel de fonds pourrait donc bien être lancé prochainement. À bon entendeur…

Parution magazine N°46 (septembre, octobre, novembre)

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