L’institut Sophia Agrobiotech au service des agriculteurs
De Tech à tech
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Créé en 2004 suite au transfert sur Sophia Antipolis des laboratoires de l’INRA localisés précédemment au cap d'Antibes, l’institut Sophia Agrobiotech regroupe près de 200 personnes qui étudient les interactions entre les plantes et les organismes, utiles et nuisibles, qui gravitent autour d'elles. Des chercheurs de l’université qui travaillaient précédemment sur le site de Valrose à Nice ont également rejoint le site. L’objectif, utiliser la recherche pour proposer de nouvelles stratégies pour modifier les pratiques des agriculteurs et les rendre moins dépendantes d’intrants chimiques. Rencontre avec le directeur de l’institut Sophia Agrobiotech, Philippe Castagnone.
Philippe Castagnone, en quoi l’étude du fonctionnement des interactions entre plantes, bioagresseurs et symbiotes permet-elle de relever certains défis dans le domaine de la gestion écologique des agrosystèmes ?
Tous nos travaux visent d’abord à comprendre comment fonctionnent ces interactions pour essayer de mettre en place des stratégies se référant à ce que l’on appelle l’agroécologie. Il s’agit d’utiliser le fonctionnement naturel des écosystèmes pour proposer de nouveaux systèmes de production basés sur un fonctionnement naturel et non pas sur l’utilisation massive de produits phytosanitaires ou d’engrais. L’idée est vraiment d’essayer de comprendre comment fonctionne la nature et de s’en inspirer pour proposer de nouvelles stratégies de protection des plantes.
Comment parvenez-vous à élaborer des stratégies agronomiques innovantes en matière de résistance des plantes, de protection intégrée et de lutte biologique ?
Avec la mondialisation et le développement des transports, les cultures sont de plus en plus soumises à des attaques de nouveaux bioagresseurs. Dans un premier temps, nous cherchons à identifier les ennemis naturels de ces ravageurs et à savoir s’il faut aller les chercher dans leur zone d’origine. Nous étudions alors leur fonctionnement avant de les lâcher dans le milieu pour en faire des auxiliaires de lutte biologique.
L’utilisation d’insectes auxiliaires pour sauvegarder certaines filières
Pouvez-vous nous donner quelques exemples dans lesquels certains insectes viennent parasiter des nuisibles et contribuent au bon développement des plantes sans recours à des produits chimiques ?
Je peux vous en citer un qui a été une success story. Il concerne une micro guêpe d’origine asiatique qui parasitait les fruits et les fleurs du châtaignier au point que la production de la châtaigne était pratiquement à l’abandon dans certaines zones. Nous sommes allés dans la zone d’origine, en Chine notamment, récupérer toute une collection d’ennemis naturels de cette espèce invasive. Son étude précise a permis d’identifier une espèce potentielle qui nous semblait particulièrement performante. Après avoir obtenu les autorisations auprès des autorités compétentes, des lâchers ont été effectués dans les châtaigneraies. Ils ont permis de contrôler complètement le ravageur et de retrouver une culture productive de la châtaigne.
Outre la châtaigne, l’action de ces insectes a-t-elle permis de sauver certaines filières dont l’existence de parasites menaçait les récoltes ?
Des insectes utilisables en lutte biologique, cela fait plusieurs décennies que cette stratégie est en œuvre. Je pense notamment à l’utilisation des trichogrammes, qui sont de petits insectes auxiliaires, pour lutter contre la pyrale du maïs. Aujourd’hui, des milliers d’hectares en France sont traités contre cette pyrale. Nous avons aussi actuellement un programme en cours de lutte biologique pour un problème sur les petits fruits rouges comme la cerise ou la framboise.
L’organisation de l’institut Sophia Agrobiotech
Au sein de l’institut, vous menez toute une série de recherches fondamentales. Comment ce travail s’organise-t-il ?
Nous avons une douzaine d’équipes de recherche qui travaillent sur des thématiques différentes. L’un des atouts de l’institut Sophia Agrobiotech, c’est de pouvoir disposer d’une large gamme de compétences et d’expertises scientifiques. Cela concerne notamment des disciplines telles que la biologie cellulaire ou moléculaire, la modélisation ou la biologie des populations. Des disciplines qui interagissent entre elles pour essayer de répondre à une question particulière.
Vous-même participez directement à une équipe qui étudie les interactions entre les plantes et les nématodes. Comment cette interaction permet-elle d’envisager de nouvelles méthodes de lutte contre les parasites ?
Les nématodes sont de petits vers microscopiques qui attaquent les racines des plantes et détournent le métabolisme de la plante. Dès lors, celle-ci n’est plus en capacité de se procurer des nutriments au niveau du sol. Jusqu’à une ou deux décennies, la méthode standard de lutte contre ces nématodes résidait dans l’utilisation de nématicides chimiques. Des produits particulièrement toxiques, aussi bien pour l’environnement que pour l’homme. Dans une grande majorité de pays, ces produits ont fini par être été interdits et il a fallu trouver des alternatives.
L’une d’entre elles consiste à travailler sur la résistance naturelle des plantes. Il existe en effet des espèces comme la tomate, qui sont naturellement résistantes à ces pathogènes. Nous avons ainsi identifié des variétés présentant des résistances naturelles sur des tomates sauvages. Le travail de recherche a alors consisté à les caractériser, puis à réaliser des croisements de manière à pouvoir introduire ce caractère de résistance dans des variétés présentant un intérêt agronomique en termes de production.
De quels outils technologiques particuliers disposez-vous pour mener à bien cette recherche fondamentale ?
Nous avons la chance de disposer au sein de l’institut d’un certain nombre de plateaux techniques performants, notamment dans la biologie cellulaire et la microscopie, ou la biochimie avec un spectromètre de masse de dernière génération. Nous disposons également d’un parc de serres et de pièces climatiques qui nous permettent de travailler dans des conditions contrôlées. Nous avons ainsi toute une gamme d’installations technologiques qui nous permettent de conduire des recherches à toutes les échelles. Ceci depuis le cellulaire et le moléculaire, en passant ensuite à l’échelle de l’individu, puis de la communauté jusqu’à l’agrosystème. Un certain nombre de nos travaux sont réalisés directement chez des agriculteurs afin d’évaluer la pertinence de nos solutions dans la vraie vie.
De la recherche fondamentale à la recherche appliquée
Vous accordez également une importance particulière à la recherche appliquée. Pouvez-vous nous donner quelques exemples ?
Dans la lutte contre le cynips du châtaignier, nous sommes partis d’une recherche fondamentale. Celle-ci visait à comprendre et identifier ses ennemis naturels ainsi que leur mode d’action jusqu’au lâcher de ces auxiliaires sur le terrain pour réussir une opération de lutte biologique efficace.
Nous essayons également de faire en sorte que les résultats acquis dans nos laboratoires puissent se disséminer au travers notamment de la création de startups. Nous venons d’inaugurer un nouveau bâtiment B3E, qui est en partie dédié à l’accueil de trois startups dans le domaine de la lutte biologique. Ces startups ont été fondées par d’anciens étudiants de l’institut et continuent à collaborer avec les équipes de recherche de l'ISA.
La fertilisation croisée chère à Sophia Antipolis joue-t-elle un rôle décisif dans votre domaine d’activité ?
Sans les avancées de la recherche, il est difficile d’imaginer la révolution qui doit se mettre en place dans l’agriculture. Modestement, l’institut Sophia Agrobiotech essaie d’apporter sa pierre à cette évolution. Mais l’ISA n’est pas tout seul sur Sophia Antipolis et il existe d’autres instituts de recherche comme l’IPMC ou l’Inria qui participent aussi à cette évolution.
Depuis quelques années, une vraie dynamique collective s’est créée autour de la biologie, mais pas uniquement. Nous essayons de mettre en place des approches transdisciplinaires en faisant en sorte que les biologistes discutent avec des mathématiciens et des informaticiens. Sophia Antipolis est un terreau particulièrement favorable à ce genre d’interactions. À l’ISA, nous hébergeons d’ailleurs une équipe projet composée de chercheurs de l’INRAE et de l’Inria qui collaborent sur des approches de développement mathématiques, de modélisation et de simulation sur nos questions biologiques.
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