NewSpace
Bientôt un Moonwalk...
Planète bleue

EUROHAB LUNA Installation © N. Singh / Spartan Space
21 juillet 1969, premier pas d’Armstrong sur la Lune. Cette admirable épopée s’est achevée il y a 50 ans, laissant place à une toute nouvelle aventure, le NewSpace. Partenariats internationaux, débauche de technologies et de startups, rumeurs de voyage sur Mars, le secteur affiche des ambitions vertigineuses. Peter Weiss, co-fondateur de Spartan Space, une startup marseillaise hyperactive au sein de cet écosystème, nous en explique les enjeux et les promesses. Les hommes ont décidément encore la tête dans les étoiles.
Depuis une quinzaine d’années, le vocable NewSpace fait tourner les têtes en orbitant dans les colonnes de la presse spécialisée, colonise la communication des États qui gravitent activement dans ce secteur, brisant un historique monopole russo-américain. Le substantif ne dit pas que l' « Espace » soudain serait devenu « nouveau ». Ce dernier, par définition, n’a pas changé d’un iota. Dans le sillage de New York, New Orleans, New Zealand, NewSpace exprime juste un changement radical de paradigme opéré depuis l’épopée presque romantique de l’ère spatiale Kennedy, quand Neil faisait avec Michael le buzz à coup de petites phrases, et quand les mots Spoutnik, Gemini, Mercury ou Apollo imprimaient leurs caractères pionniers sur l’étoffe dont on fait les héros, à l’instar d’une légendaire trace de moon boot dans la poussière lunaire.
Dans les trois décennies consécutives au deuxième conflit mondial, la course à la Lune, car cela en était une, opposait l’Est et l’Ouest. Son enjeu masquait difficilement une ambition moins technologique que politique. L’obsession de voir la bannière étoilée plutôt que le drapeau rouge flotter sur la mer de la Tranquillité servit de prétexte à la conquête des esprits sur Terre, bien avant celle de la Lune, au cœur d’une guerre aussi froide que le vide cosmique. Puis en 1989, le mur de Berlin a entraîné dans sa chute une Union soviétique élimée comme la combinaison de Gagarine. À l’Ouest, la révolutionnaire navette spatiale a dramatiquement explosé en vol comme certaines promesses non tenues de la NASA. Les puissants n’ont alors plus voulu écouter cette sonate au clair de lune démodée car dispendieuse.
Seul plus vite, mais ensemble plus loin
L’humanité hébétée a négocié le virage du 21e siècle en découvrant le surf sur les réseaux sociaux au son des sirènes du 11 septembre. Le monde se préoccupa alors surtout de lui-même. L’espace ne faisait plus recette quand une petite musique en dolby spatial s’est à nouveau fait entendre. « En 1998, la mission Lunar Prospector américaine démontra la présence plus que probable d’eau sous forme de glace au fond des cratères du pôle sud de l’astre toujours mystérieux », commente Peter, et le « Launch Services Purchase Act » obligea la NASA à utiliser des lanceurs privés pour ses futures escapades cosmiques.
Le marché a renoué sans tarder avec ses serments au clair de lune. En 2002, par exemple, avec la naissance de SpaceX, premier enfant terrible, fossoyeur du Old Space. Dès lors, de nombreux entrepreneurs se sont engouffrés dans la brèche, tandis que frappaient à la porte du club très fermé des puissances spatiales d’inattendus prétendants : le Japon, la Chine, l’Europe, l’Inde, la Corée du Sud, Israël, et les Émirats arabes unis.
Une autre course venait de commencer. Décrocher la Lune ne ressemblerait plus à un sprint de lièvre contre tortue, mais plutôt à un marathon-relais international où un mélange de coopération-compétition, entre États et agences spatiales, entre secteur public et privé, organiserait le passage des témoins qui iraient à nouveau fouler la régolithe lunaire. George Bush junior lança en 2004 le programme Constellation, prévoyant la mise au point de nouveaux lanceurs lourds (SLS Ares), de nouveaux landers et véhicules lunaires (Orion), bref de tout l’arsenal technologique pour déposer en sécurité quatre sapiens sur la Lune. L’administration Obama stoppa cet élan pour des raisons budgétaires, puis son rival républicain, D. Trump, pour le jubilé de l’alunissage d’Apollo 11 (1969), relança en 2019 le programme Artémis, une ambitieuse série de missions habitées non seulement vers l’astre de Tanit mais également vers la planète rouge.
« Artémis a repris les acquis de Constellation en y ajoutant quelques réjouissances, dont la Lunar Gateway, station orbitale lunaire pour servir de base intermédiaire aux astronautes destinés à alunir, et plus tard pour ceux ayant réservé un billet pour Mars », déclare Peter. Depuis 2010, tout un écosystème bourdonne et s’active autour des briques d’Artémis 1, 2 et 3 : SpaceX d’Elon Musk bien sûr, mais aussi Blue Origin de son frère ennemi Jeff Bezos, les traditionnels Boeing, Lockheed Martin, Northrop Grumman, des moins connus comme Masten, Maxtar, Aerojet Rocketdyne, Sierra Nevada Corporation ; de ce côté de l’Atlantique, Thales Alenia Space, Michelin, Airbus Industries, Air Liquide, l’ESA, et le CNES et nombre d’acteurs japonais, canadiens, chinois, indiens… Le duo de l’OldSpace s’est mué en orchestre symphonique, et le NewSpace a définitivement troqué la partition de Mr Lonely1 contre celle de Si tous les gars du monde2 sûrement retrouvée dans la Maison bleue de San Francisco3.
Une leçon d’humilité
Cette hyper activité, louable et admirable, ne doit pas pourtant cacher l’immensité des défis qui se cachent derrière les six lettres du mot Espace. Pour fixer les échelles, imaginons que la Terre ne soit pas un géoïde de 40 000 km de circonférence, mais une bille bleue d’un petit centimètre de diamètre, comme celle de nos cours de récréation. Les orbites basses des satellites se positionneraient comme des têtes d’épingles à 1 mm de la bille, les géostationnaires à 2,8 cm, la Lune graviterait elle à 30 cm, Mars à 300 mètres, et Pluton, la planète la plus lointaine de notre système solaire, se signalerait à 6 km. Enfin, le compteur kilométrique de la sonde Voyager 1 lancée en 1977, l’objet humain aujourd’hui le plus éloigné de la Terre, indiquerait 19 km tandis que notre voisine, Proxima du centaure, l’étoile-soleil la plus proche de notre petit coin de voie lactée, brillerait à 32 000 km de notre bille, soit un aller-retour Paris-Sydney ! « Aller sur Mars relève bien sûr toujours de l’exploit mais des obstacles d’une autre amplitude nous attendent si nous désirons vraiment visiter l’univers », résume Peter.
Des véhicules américains mais un habitat européen
Spartan Space, née en 2021 (« un enfant du Covid », souligne avec humour son co-fondateur), est représentative de l’univers NewSpace. Elle regroupe onze internationaux aux profils variés : ingénieurs mécaniciens, spécialiste de l’IA, spécialistes du spatial mais aussi, comme Peter, expert en ingénierie sous-marine, un parallélisme savoureux. Ce petit Poucet au regard des autres joueurs sur le terrain profite d’Artémis, et c’est heureux, comme rampe de lancement.
L’Agence spatiale européenne (ESA) lui a confié la réalisation d’un habitat secondaire, une petite hutte lunaire gonflable et autonome, « un peu comme un canot de sauvetage », explique Peter. Puis, il poursuit: « Pourquoi ? D’abord, le pôle sud de la Lune recèle quelques cratères dont les surfaces sont constamment dans l’ombre4 et contiennent selon toute vraisemblance des réserves de glace, un point crucial pour installer une colonie pérenne sur la Lune. Cette surface d’intérêt est peu ou prou équivalente à celle de l’Île de France. Deuxièmement, le relief de ce pôle ressemble plus aux Alpes qu’aux Pays-Bas, ce qui en fait une zone complexe pour des alunissages réguliers. Troisièmement, il y existe aussi des surfaces ensoleillées en permanence5, donc parfaites pour quelques fermes solaires bienvenues là où les températures oscillent entre +120 °C et – 240 °C. Tous ces lieux, bien que voisins, obligeront les futurs pionniers lunaires à des déplacements entre les sources d’eau, les sources d’énergie, et les plateaux d’alunissage. »
La règlementation spatiale recommande une distance maximale de 10 km entre deux points de déplacement. Des exemplaires de ces huttes champignonnesques, autonomes mais aussi rechargeables en eau, énergie, oxygène, transportables sur l’alunisseur robotique Argonaut6, seront disséminées sur les trajets des colons, pareilles aux cailloux blanc du petit Poucet, et serviront de refuges, points de ravitaillement, sur les grandes distances. « Elles font partie de l’arsenal des « life-support systems », des systèmes de survie, développés dans le cadre d’Artémis pour évoluer dans un milieu hostile comme la Lune », conclut Peter.
Une survie spartiate, mais garantie
EuroHab, c’est le nom de cette yourte lunaire, fruit de la collaboration entre Spartan Space, Michelin, Airbus Industrie, Air Liquide, Thales Alenia Space, le CNES et l’ESA, est bourrée d’IA et de technologies pour optimiser les consommations d’énergie, d’eau et d’oxygène, recycler le gaz carbonique, exploiter des piles à combustible, permettre le cas échéant un ravitaillement grâce à un petit robot capable d’exploiter les ressources de la régolithe. La paroi d’EuroHab est constituée de plusieurs couches de matériaux différents, pour répondre aux exigences du cahier des charges imposé par la Lune.
Le savoir-faire de Spartan Space est convoqué aussi dans le prêt-à-porter galactique, en particulier dans le domaine des combinaisons intra-véhiculaires, revêtues par les spationautes à l’intérieur des modules pressurisés. « Ce projet, en collaboration avec le MEDES (Institut de Médecine et Physiologie spatiales de Toulouse, ou IMPS) a recruté un partenaire inattendu : Decathlon… une collaboration très représentative du NewSpace », déclare Peter. Des industriels d’envergure, disposant d’un savoir-faire reconnu, comme CMA-CGM, Michelin, Air Liquide… entament leur diversification dans le spatial ; en témoigne la multiplication d’évènements SpaceTech comme les Assises du NewSpace ou le Paris Air Forum. Le CNES a même créé TechTheMoon, son incubateur de startups désireuses de décrocher le pompon ainsi que la Lune, preuve s’il en est qu’une filière se structure.
Anticiper ou monter dans le train en marche, mais pour quelles retombées ?
Reste la question de l’utilité de ces investissements, à l’heure où le climat réchauffe une biosphère en souffrance, les transitions patinent, les pollutions explosent, les migrations angoissent… « Le spatial a déjà produit le GPS, l’observation de la Terre pour comprendre le dérèglement climatique, un internet fiable à haut débit ubiquitaire, et nombres d’autres innovations que nous ne voyons plus. Nos travaux actuels, basé sur l’IA et la technologie, nous font progresser en sobriété énergétique, en intelligence de l’habitat, en recyclage et captation du CO2… les apports sont aussi nombreux que discrets et les synergies avec les recherches polaires et sous-marines indéniables », souligne Peter.
Actuellement, la question se situe bien moins sur le pourquoi que sur le comment. « Malgré ses efforts, l’Europe est en retard et les autres acteurs se taillent la part du lion. Dans quelques années les astronautes qui retourneront sur la Lune seront américains, canadiens, japonais… vraisemblablement pas européens. Nous manquons d’une vraie vision, d’une volonté politique forte de monter dans le train à destination du pôle sud de la Lune », regrette Peter.
La planisphère lunaire montrera-t-elle des frontières ?
Artémis, indirectement, soulève aussi la question du droit et des possessions territoriales. Un cratère sera-t-il japonais ou américain ? Une fois implantée durablement sur la Lune, à quel cadre juridique la colonie devra-t-elle se référer ? « La question n’a pas encore de réponse. Il existe pourtant un règlement d’importance. L’organisation qui implante un équipement sur la Lune dispose de facto d’une « safety zone » autour de son installation, interdite à d’autres équipements comme des landers ou des rovers », commente Peter. On imagine aisément un jeu de Go nouvelle version, dans lequel la possession territoriale s’organiserait par la dissémination d’un maillage de modules EuroHab rapprochés.
Le juridique se tient souvent en embuscade derrière la technologie, et le pas protectionniste entre collaboration et souveraineté vite franchi. Même dans le NewSpace, les vieilles lunes de l’humanité risquent de refaire surface.
1. Succès du chanteur américain Bobby Vinton en 1964.
2. Chanson de Marcel Achard écrite en 1956 pour le film éponyme de Christian Jacques.
3. Chanson de Maxime Le Forestier, sortie en 1972 en pleine période hippie.
4. Ces zones sont généralement nommées PSR pour Permanently Shadowed Regions.
5. Ces zones sont nommées PEL pour Peaks of Eternal Light.
6. Lander (Atterrisseur ou Alunisseur) développé dans le cadre du programme Artemis.
Dans la même rubrique
Lancement réussi du satellite CSO-3
18 mars 2025 à 01:04
Détection des ondes gravitationnelles, l’apesanteur et la grâce
12 mars 2025 à 11:14
Observater pour comprendre l’Univers
le Laboratoire Joseph-Louis Lagrange
11 mars 2025 à 11:13
Objectif Lune !
Pari réussi pour Gildo Pastor
11 mars 2025 à 00:51
La couleur...
Ce langage secret des océans
10 mars 2025 à 23:47
Une journée à l’opéra cosmique
10 mars 2025 à 00:48
Qu’en pensez-vous ?
Donnez-nous votre avis
Pour vérifier que vous êtes une intelligence humaine, merci de répondre à ce questionnement lunaire.