Quand les marionnettes vampent la Scène 55 (et pire encore)

Par Frank Davit, 10 mars 2025 à 12:37

Arts en scène

À Mougins, un festival célèbre chaque printemps l’art marionnettique sous toutes ses formes, y compris pour adultes. Vampire, es-tu là ? Le comte Dracula lui-même va faire frissonner la programmation…

« Moi je construis des marionnettes, avec de la ficelle et du papier, elles sont jolies les mignonnettes… », chantait Christophe dans l’un de ses tubes. Ce n’est pas forcément ainsi que l’entend la Scène 55 pour enchanter son public à l’occasion du Printemps de la Marionnette et des Formes animées. Conçu et organisé par la salle de spectacle mouginoise, le festival, qui en est à sa neuvième édition cette année, vise à sortir des clichés qui entourent encore trop souvent cet art théâtral à part entière. Montrer la diversité et la vitalité de ce secteur de création, bien au-delà de son ADN en lien avec le monde de l’enfance, l’ambition de la Scène 55 se situe bel et bien là. Bel et bien car l’endroit est labellisé théâtre conventionné Art et Spectacle pluridisciplinaire, avec la danse et la marionnette en accords majeurs, et ce qui s’y joue convoque des productions au diapason d’un tel label qualitatif. Le divertissement jeune public et familial y a largement et légitimement sa place le temps du festival, lequel sait aussi aller voir ailleurs pour trouver des bonheurs destinés à une audience plus adulte qui n’en a pas moins gardé un brin d’enfance au cœur. C’est un peu ce qui se passe quand des cinéphiles peuvent autant se prendre de passion pour le cinéma que pour le cinéma d’animation. À l’aune de ce regard sans œillères, il est alors vivement recommandé d’établir une passerelle entre théâtre et ce qu’on appellera du coup théâtre d’animation.


Le mal du vampire


À la mi-mars, dans cette ligne de mire, cinq spectacles vont ainsi se partager l’affiche de la Scène 55, mettant en exergue le travail inventif de compagnies régionales et accueillant une figure majeure de la profession en la personne de la marionnettiste Yngvild Aspeli. Artiste associée au CDN Dijon-Bourgogne, récemment nommée à la direction du Nordland Visual Theatre, celle-ci a plusieurs spectacles en tournée. Après son Moby Dick encore dans toutes les mémoires qui avait transité par Mougins en 2021, elle présentera cette fois sa vision d’un mythe total de la pop culture, Dracula, d’après le roman de Bram Stoker. Une production que l’artiste a créée avec sa compagnie venue de Norvège, Plexus polaire, et dont la première française a eu lieu fin 2021.


Titre du spectacle, Dracula – Lucy’s dream. Pourquoi cette variation autour de la star des vampires a tout ce qu’il faut pour que vous soyez mordu ? Joué par des marionnettes à taille humaine et les comédien(ne)s qui leur prêtent vie à vue, le spectacle nous procurera certes notre dose d’atmosphère « flippante », comme attendu dans une telle histoire, mais surtout, Yngvild Aspeli a voulu nouer l’intrigue sous un autre jour. Dans une autre nuit qui est celle où Lucy, la véritable héroïne du spectacle, se débat avec ses cauchemars. Est-elle la proie de Dracula ou bien Dracula est-il l’incarnation fantasmée des démons qui la hantent ? À travers les affres de la jeune femme, il est question d’emprise, de domination, de force autodestructrice. S’il y a quelque chose d’un « giallo » à la scandinave dans l’approche d’Yngvild Aspeli, la focale privilégiée ici n’en affirme et revendique pas moins son engagement du côté d’un féminisme ardent, comme cela est à l’œuvre avec Maison de poupée, d’Henrik Ibsen, le nouveau spectacle de la marionnettiste. Serti de ces lueurs qui lui confèrent un pouvoir d’envoûtement singulier, conte gothique et manifeste féministe, son Dracula – Lucy’s dream scintille en clair-obscur, en majesté ! Représentation événement du festival dont il assurera la clôture en apothéose, le spectacle n’est toutefois pas à mettre sous tous les yeux (à partir de 14 ans...)


Des spectacles en mutation, protéiformes


En sa qualité de directeur artistique de la Scène 55 depuis l'ouverture des lieux en 2017, René Corbier est l'un des initiateurs du Printemps de la Marionnette et des Formes animées. Après huit années à la tête de l'établissement, il vient de passer le flambeau du théâtre et du festival à Pierre Caussin (sur nomination à ce poste par la Ville de Mougins après appel à candidature).


Auparavant directeur du Forum Jacques Prévert de Carros, Pierre Caussin a une longue expérience du spectacle vivant. À Mougins, celui qui a pris les rênes de la Scène 55 fourmille de nouveaux projets pour cette belle maison culturelle. « René Corbier a mené ici un formidable travail, déclare son successeur, il a donné une identité à la Scène 55 et je vais poursuivre ce qui a été impulsé, tout ce qui a fidélisé le public pour venir dans un endroit créé ex nihilo. Pas question de saboter les fondations du lieu, on garde la formule jeune public et famille en proposant ici et là des touches de nouveauté. Je pense notamment à des spectacles à 360 degrés, pour partager des expériences immersives, où les spectateurs pourront vibrer autrement et vivre une expérience globale plutôt que juste regarder, où ils seront acteurs de ce qui se passe avec les artistes d’une production conçue dans cet esprit de partage et de convivialité. La saison prochaine, on accueillera par exemple la compagnie La Grive pour Cépages dansants, un spectacle en mode cabaret autour de la gastronomie, de l’œnologie et de la danse. Le public sera convié pour ainsi dire à une fête des sens avec dégustation à la clé. Le spectacle vivant est protéiforme, à côté de représentations classiques, on va aussi partir dans ce genre d’aventures… »


À propos de la place de la marionnette et de la danse dans la programmation de la Scène 55, Pierre Caussin souhaite également « étoffer la palette » des propositions. Jouer la carte de l’éclectisme et de l’exigence artistique, montrer les choses sous plus d’une facette avec des choix forts… Autant de points cardinaux pour indiquer une direction à suivre. Et comme une bonne nouvelle, le nouveau directeur d’annoncer déjà qu’à partir de 2026, le Printemps de la Marionnette et des Formes animées sera prolongé de dix à quinze jours !  




La scène dont les princes sont des enfants


Parce qu’ils sont la prunelle de nos yeux et parce qu’ils le valent bien, des spectacles font des chatouilles plein les mirettes des enfants dans le cadre de la programmation du Printemps de la Marionnette et des Formes animées. Parmi les compagnies régionales invitées qui s’illustrent dans ce registre aux portes de l’émerveillement et de l’imaginaire, a été convié à se produire sur la Scène 55 l’Anima Théâtre avec son nouvel opus Mythos (visible dès 8 ans). Soit une odyssée dans la mythologie grecque racontée par des marionnettes fabriquées par impression en 3D. Entre l’antique et le digital, cette création se drape dans la texture d’une esthétique contemporaine pour mieux broder les motifs de ses récits fabuleux.


Les tout-petits sont eux aussi à la fête avec deux spectacles de poche pour les 3-4 ans. Et puis par la Soupe Cie fait éclore une ode à l’environnement via la poésie visuelle de son histoire, tandis que le Collectif Quatre Ailes opte pour une fantaisie ludique et chatoyante avec Mille secrets de poussins. À ces trois « enfantillages » qui promettent rêverie et évasion, la compagnie HDH - Hasards d’Hasards - vient ajouter une autre proposition au parfum de conte et de parabole. Celle que lui ont inspirée les vraies péripéties d’un lion du zoo de Kaboul et qui ont donné naissance au spectacle Marjan, le dernier lion d’Afghanistan, auquel ont participé deux comédiens et marionnettistes afghans, Abdul Haq Haqjoo et Farhad Yaqubi.   


Festival Printemps de la Marionnette et des Formes animées

Scène 55, Mougins, du 18 au 28 mars

Parution magazine N°48 (mars, avril, mai)

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