EURECOM met l’IA
au service de la résilience climatique

Par La rédaction, 19 juin 2025 à 22:51

Quoi d'9 ?

Comment faire face à la crise climatique sans y contribuer ? À EURECOM, grande école d'ingénieurs et centre de recherche de pointe en sciences numériques, la réponse réside dans la conception de systèmes d'IA plus intelligents, plus légers et plus ciblés. La recherche appliquée au climat se distingue par son ambition technique et sa dimension pratique. Simulations avancées visant à prédire les surcotes sur la Côte d'Azur, conception de modèles économes en énergie, lutte contre la désinformation climatique en ligne, anticipation des événements météorologiques extrêmes... Zoom sur les projets en cours qui mettent le Climat au centre.

Lutte contre la désinformation climatique


Pour promouvoir une IA respectueuse de l'énergie, le défi IA Frugale - organisé par le ministère français de la Transition écologique et Hugging Face - a demandé aux équipes de développer des modèles performants à faible consommation énergétique pour traiter des questions climatiques. Organisé lors du sommet AI Action à Paris (10-11 février 2025), il comprenait trois tâches : détecter la déforestation illégale via l'audio, identifier les incendies de forêt à partir d'images satellite et classifier la désinformation climatique dans les textes.


QuotaClimat a fourni des articles d'actualité étiquetés par types de récits climatiques faux, tels que le déni de la responsabilité humaine ou le rejet de la science. La solution de chaque équipe a été évaluée non seulement sur la précision, mais aussi sur la consommation d'énergie, en utilisant des outils standardisés et du matériel identique pour garantir l'équité. Outre l'exactitude de l'exécution des tâches, la consommation énergétique de chaque modèle a été un facteur déterminant dans le processus d'évaluation.


L'équipe d'EURECOM, dirigée par le professeur Raphaël Troncy et le doctorant Youri Peskine, a remporté la catégorie des données textuelles du défi IA Frugale grâce à un compromis méticuleux entre précision du modèle et efficacité énergétique. Plutôt que d'utiliser des architectures volumineuses et gourmandes en ressources, l'équipe a développé une solution légère basée sur un modèle linguistique compact et un réseau neuronal simplifié à six couches. Cette architecture a permis de réduire les coûts de calcul tout en maintenant de solides performances de classification. Ce succès résulte de l'expérience d'EURECOM dans des projets de recherche antérieurs axés sur la détection de la désinformation, notamment le projet CIMPLE financé par l'Europe et coordonné par Raphaël Troncy, visant à concevoir des systèmes d'IA pour analyser les récits sensibles sur des sujets tels que le Covid-19, les conflits géopolitiques et le changement climatique.


Le projet ClimateSense


Des questions majeures se posent dans cette direction : Comment la désinformation climatique se propage-t-elle en ligne ? Qui façonne ces récits et comment influencent-ils la perception publique, notamment après des événements extrêmes ? Ce sont quelques-unes des questions centrales du projet européen ClimateSense, lancé en mars 2025, auquel EURECOM participe activement aux côtés de partenaires du Royaume-Uni, de la Lituanie et de la République tchèque.


ClimateSense adopte une approche multidimensionnelle pour la résilience climatique. D'une part, il se concentre sur la détection et la compréhension des événements climatiques extrêmes en utilisant la science des données et les outils géospatiaux. D'autre part, il étudie la manière dont la désinformation climatique prolifère sur les plateformes numériques à la suite de tels événements—allant du déni du changement climatique d'origine humaine aux théories du complot visant les institutions scientifiques.


EURECOM apporte son expertise en IA et en machine learning (apprentissage automatique) pour développer des outils de classification automatique de contenus liés au climat, en particulier la désinformation. Une expérimentation consiste à générer des contre-récits par des bots comme MisinfoMe, qui interagissent avec le contenu en ligne en utilisant l'humour, la poésie ou des images et messages viraux (mèmes) pour contester subtilement les messages trompeurs. Cette approche s'inspire des sciences comportementales et de la psychologie sociale pour explorer des méthodes d'engagement non conflictuelles, un domaine encore peu étudié mais de plus en plus essentiel pour lutter contre la fatigue liée à la désinformation. Les chercheurs d'EURECOM contribuent à la création d'outils fiables et en accès libre, destinés aux journalistes, enseignants et décideurs politiques. Ce faisant, ils positionnent l'IA comme un allié numérique engagé dans la promotion d’une action climatique éclairée.


Vers une IA probabiliste pour la modélisation des surcotes et des risques d'inondation côtière


Un autre axe majeur de recherche liée au climat porte sur l'utilisation des technologies de simulation pour modéliser les catastrophes naturelles telles que les surcotes, qui devraient devenir plus fréquentes et intenses avec le réchauffement des océans et la montée du niveau de la mer. Par exemple, quel sera l’impact du changement climatique sur les inondations côtières dans les décennies à venir ? Ce projet est mené par le professeur Motonobu Kanagawa à EURECOM, en partenariat avec la Délégation interministérielle chargée de la Transition numérique de la Principauté de Monaco. Le Gouvernement princier faisant partie du GIE d’EURECOM, se donne pour objectif de répondre à cette question en simulant les ondes de tempête sur la Côte d’Azur et au-delà. En effet, ces technologies de simulation ont également été présentées dans un projet européen d’observatoire transfrontalier impliquant des organismes publics français (Région Sud, Métropole de Nice Côte d’Azur) et italiens (les Régions du Piémont et de la Ligurie, ainsi que les métropoles de Turin et Gênes).


Les surcotes - des hausses du niveau de la mer causées par les vents de tempête et les chutes de pression - constituent une menace sérieuse pour les communautés côtières. Le changement climatique devrait aggraver ces événements en raison de l'élévation du niveau de la mer et de l'altération du comportement des tempêtes. Cependant, les évaluations localisées des risques d'inondation demeurent rares.


En utilisant le simulateur GeoClaw, l'équipe composée d’ingénieurs de la Principauté et d’EURECOM travaille à reconstituer des événements passés tels que la tempête Alex (octobre 2020), un événement extrême qui s'est récemment déroulé dans la région. Un défi majeur réside dans l'incertitude des paramètres du modèle (par exemple, l'intensité de la tempête et les champs de pression) ainsi que dans la disponibilité limitée de données historiques.


Pour y répondre, le projet intègre des méthodes basées sur l’IA afin de quantifier et de propager systématiquement les incertitudes, qu’elles proviennent de la discrétisation numérique, des modèles simplifiés de tempêtes (comme le modèle de Holland), ou des comportements futurs imprévisibles des tempêtes dans le contexte du changement climatique. L’expertise du professeur Kanagawa en IA probabiliste, notamment la quadrature bayésienne et les méthodes numériques probabilistes, fournit un socle théorique solide pour cette démarche. La Principauté de Monaco intègre les outils et méthodes de simulation développés avec EURECOM dans sa plateforme de données publiques « data.gouv.mc », dans le cadre de sa stratégie numérique Extended Monaco.


Accélérer la surveillance climatique par satellite grâce à l'IA


Le professeur Kanagawa collabore également avec l'Institut national d'Études environnementales du Japon (NIES) pour appliquer l'IA à l'amélioration de la surveillance des gaz à effet de serre en utilisant les données du programme satellite GOSAT. Ces satellites capturent des spectres de radiance, des mesures de lumière modifiées par la présence de gaz atmosphériques tels que le CO₂ et le méthane. Bien que ces relevés révèlent indirectement les concentrations de gaz, les traduire en mesures précises nécessite généralement des simulations intensives fondées sur la physique atmosphérique, un processus appelé « inversion ».


L’équipe d’EURECOM travaille sur ces simulations complexes en développant des modèles d’IA capables d’approximer l’algorithme d’inversion. En s’appuyant sur des centaines de milliers de paires de données précalculées (radiance–CO₂), ces modèles peuvent estimer rapidement les concentrations de gaz à effet de serre, fournissant ainsi des informations précieuses et en temps utile pour la recherche climatique et les décisions politiques.


Cependant, les conditions atmosphériques changent constamment, ce qui provoque un phénomène appelé « changement distributionnel » - un vrai défi pour les systèmes d’IA formés sur des données historiques. Pour y faire face, les chercheurs d’EURECOM intègrent dès l’apprentissage des principes solides tels que l’inférence bayésienne, la physique du transfert radiatif atmosphérique, et la modélisation guidée par la physique. Cette approche renforce la robustesse des modèles, améliorant leur capacité à se généraliser et à rester précis dans le temps.


Cette démarche hybride, alliant savoirs physiques et apprentissage automatique, ouvre une voie prometteuse pour l’analyse satellitaire appliquée aux enjeux climatiques. « L'IA n'est pas une solution miracle. Le véritable défi réside dans la manière de la former pour permettre de bonnes prédictions pour les observations futures, et non pour celles du passé », explique le professeur Kanagawa.


CIRCALIS, alimenter l'IA de manière responsable


Alors que les méthodes d'IA peuvent directement contribuer à mieux anticiper l'impact du changement climatique comme montré ci-dessus, nous devons reconnaître que certaines de ces méthodes sont intensives en calculs mathématiques, nécessitant donc plus de puissance informatique, alimentée par l'électricité. Une approche responsable du calcul est donc nécessaire.


Le projet CIRCALIS d'EURECOM incarne une vision locale et durable pour faire progresser l'IA. Lancé avec le soutien de la Région Sud, ce nouveau centre de calcul haute performance sur le campus de l'école accélère la recherche dans des domaines clés tels que la santé, la cybersécurité, la mobilité et la résilience climatique.


CIRCALIS intègre une source majeure d'énergie renouvelable, la ferme solaire SUNrecom, qui fournit environ un tiers des besoins énergétiques du site. De plus, l'infrastructure est optimisée pour minimiser la consommation d'énergie grâce à des systèmes et un refroidissement efficaces. Cette plateforme collaborative favorise un écosystème régional d'institutions académiques, d'industries et de startups engagées dans l'IA haute performance, contribuant directement aux ambitions climatiques de la Côte d'Azur.


Une nouvelle ère de l'IA pour la résilience climatique


Les projets innovants d'IA mettent en lumière l'importance d'une approche responsable de l'intelligence artificielle pour répondre à la crise climatique. En optimisant les modèles pour réduire leur impact environnemental et en exploitant leur potentiel pour mieux prédire et gérer les événements climatiques extrêmes, la recherche responsable en IA aide à construire des sociétés plus résilientes et un avenir numérique plus durable. Que ce soit en combattant la désinformation, en simulant des ondes de tempête, l'IA joue un rôle croissant en tant qu'outil de soutien face aux défis climatiques.

Parution magazine N°49 (juin, juillet, août)

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