Quelle politique numérique
territoriale ?
Quoi d'9 ?

Charles Anges Ginésy, président du département des Alpes Maritimes, et José Ammendola, directeur général du SICTIAM © DR
En 2025, un territoire dynamique ne peut s’affranchir d’une politique numérique sérieuse pour offrir des services efficaces en s’appuyant sur des infrastructures adaptées. Sous l’impulsion du président du département Charles Ange Ginésy, « Green Deal » et « Smart Deal » sont au cœur des politiques publiques territoriales. Si le numérique consomme énergie et ressources, en potentielle contradiction avec la nécessité de préserver l’environnement, José Ammendola, directeur général du SICTIAM, explique qu’une ligne de crête étroite, conciliant vertu et responsabilité, est empruntable.
Comment définissez-vous l'empreinte numérique d'une institution ? Et comment arrivez-vous à l'évaluer dans les Alpes-Maritimes ?
L'empreinte numérique d'une organisation désigne l'ensemble des impacts environnementaux et sociétaux qui sont générés par ses activités numériques. Cela englobe la fabrication, l'utilisation et la fin de vie des équipements. Cela englobe aussi l'exploitation des infrastructures de traitement des données et les usages quotidiens tels que l'envoi de courriels par exemple, les visioconférences, le stockage... En France, il est estimé que le numérique représente environ 4,4 % de l'empreinte carbone nationale. Le chiffre est en constante augmentation.
Pour évaluer l’empreinte numérique d’une organisation, on analyse globalement le cycle de vie des équipements et des services numériques. Des outils et conseils sont proposés dans ce sens par l'ADEME. Le SICTIAM recommande une évaluation constante de la chaîne de valeur numérique afin d'en identifier les leviers d'action prioritaires (l'allongement de durée de vie des équipements, l'écoconception des services numériques, la sensibilisation des utilisateurs aux bonnes pratiques...).
Il est important aussi de garder en tête qu'au-delà de l'aspect environnemental, l'empreinte numérique recouvre également des dimensions sociales et économiques. Quid de la fracture ? Quelles conditions de travail dans les chaînes de création de valeur ? Maîtriser son empreinte numérique participe donc aussi à une démarche de responsabilité sociétale, en cherchant à aligner sa stratégie numérique avec ses objectifs de développement durable.
De manière très concrète, nous intégrons depuis plusieurs années des critères environnementaux dans nos consultations publiques en demandant aux soumissionnaires de justifier d'une empreinte numérique maîtrisée. Cette démarche a été pensée pour encourager à adopter des pratiques visant à réduire la consommation d'énergie et la production de déchets électroniques.
Pour accompagner les collectivités dans l’évaluation de leurs usages numériques et recenser les actions réalisées, nous leur mettons à disposition l'outil d'auto-évaluation développé par l'Institut du Numérique responsable (INR) et Les Interconnectés. Ce tableur, disponible en open source, facilite l'élaboration d'une feuille de route stratégique pour un numérique responsable.
Le SICTIAM est également membre de l'association Déclic qui a développé un indice de maturité pour proposer un plan d'action contextualisé, facilitant ainsi l'élaboration d'une stratégie numérique responsable pour la collectivité. Cet éco-clic a été développé à partir d’un questionnaire basé sur les pratiques d’une collectivité. C'est un autre outil de pilotage des étapes de mise en œuvre d'une démarche numériquement responsable.
Enfin, nos équipes proposent des formations et des actions de sensibilisation à la sobriété numérique et énergétique. Le concept de Green IT est au cœur de nos actions.
Quelles sont les priorités territoriales, et pourquoi ?
Le département a lancé le programme Smart Deal visant à créer un territoire leader en matière de numérique et d'intelligence artificielle. Dans les Alpes-Maritimes, les priorités numériques s'articulent autour de la sobriété, du déploiement d'infrastructures, de la formation aux bonnes pratiques et de la préparation aux enjeux de l'intelligence artificielle.
Le département a créé en mars 2020 la Maison de l'intelligence artificielle (MIA) à Sophia Antipolis. Cet espace unique en Europe est dédié à la sensibilisation, à la formation et à l'expérimentation autour de l'IA. Depuis sa création, la MIA a sensibilisé plus de 100 000 personnes, incluant des collégiens, des professionnels et le grand public. Plusieurs événements tels que les IADATES, les IAFTERWORK et le World Artificial Intelligence Cannes Festival (WAICF), le World Artificial Intelligence Films Festival (WAIFF) ont été initiés pour promouvoir une culture de l'IA éthique et responsable, préparant ainsi les collectivités, les acteurs locaux et les administrés à cette nouvelle révolution.
Si aucune mesure n'est prise, l'essor de l'intelligence artificielle pourrait avoir un impact significatif sur l'empreinte carbone du numérique. Les modèles d’IA générative nécessitent des ressources considérables. Par exemple, à lui seul l'entraînement initial du modèle GPT-3 a généré environ 552 tonnes de CO2, ce qui correspond aux émissions annuelles de 123 voitures à essence, ou si l'on prend une autre base comparative, 205 vols A/R Paris-New York.
Il faut être conscient qu'une seule requête ChatGPT peut consommer jusqu'à dix fois plus d'énergie qu'une recherche Google classique, soit 15 g de CO2 contre 0,3 à 5 g.
Il ne faut pourtant pas jeter le bébé avec l’eau du bain. L'IA offre également des opportunités pour réduire l'impact environnemental. Elle peut optimiser les réseaux électriques, améliorer la gestion des transports, surveiller les incendies de forêt ou encore réduire les consommations inutiles. Notre territoire est d'ailleurs plutôt vertueux en matière de transition numérique et environnementale.
Dans vos expertises, vous mentionnez la cybersécurité. Pourquoi ? Quel lien faites-vous avec l'empreinte numérique ?
La cybersécurité est aujourd'hui un enjeu central pour les collectivités territoriales, tant en matière de continuité des services publics que de maîtrise de leur empreinte numérique. En 2024, l'ANSSI a traité 218 incidents cyber affectant les collectivités, soit une moyenne de 18 attaques par mois, représentant 14 % des incidents traités au total. Ces attaques causent des interruptions de service, des pertes de données sensibles, et entraînent des pertes financières importantes. La question n'est plus de savoir si une collectivité sera victime d'une cyberattaque, mais plutôt quand, pourquoi elle sera ciblée et combien de temps il faudra pour rétablir ses services essentiels.
La cybersécurité et l'empreinte numérique sont étroitement liées. Une stratégie de cybersécurité bien pensée peut contribuer à réduire l'empreinte numérique en évitant le surstockage de données, en optimisant les infrastructures et en limitant la consommation énergétique. À l'inverse, une cybersécurité mal maîtrisée peut alourdir cette empreinte, notamment par la multiplication de sauvegardes redondantes ou l'utilisation de systèmes obsolètes et énergivores.
Adopter une approche de sécurité numérique responsable permet ainsi non seulement de protéger les systèmes d'information des collectivités, mais aussi de maîtriser leur impact environnemental.
Existe-t-il des normes, des règlementations contraignantes, qui obligent les organisations à faire attention ?
Oui, plusieurs réglementations nationales et européennes imposent aux organisations de prendre en compte leur empreinte numérique, la cybersécurité et la sobriété numérique.
Au niveau national, la loi REEN (Réduction de l'Empreinte environnementale du Numérique) impose depuis le 1er janvier 2025 aux communes de plus de 50 000 habitants de mettre en place un plan numérique responsable. De plus, la loi AGEC (Anti-Gaspillage pour une Économie circulaire) renforce les obligations en matière de recyclage et de réemploi.
Au niveau européen, le règlement 2024/1781/UE sur l'éco-conception des produits durables impose des critères de durabilité environnementale plus larges, notamment dans les marchés publics, avec l'objectif de réduire l'impact des produits sur l'environnement tout au long de leur cycle de vie.
En matière de cybersécurité, la directive NIS2, adoptée en janvier 2023, impose aux entreprises d'améliorer leurs mesures de sécurité pour lutter contre les nouvelles formes de cyberattaque. Le Cybersecurity Act de l'UE établit un cadre législatif et des standards uniques de cybersécurité pour l'espace européen.
Ces réglementations, bien que structurantes, nécessitent une mise en œuvre concrète et adaptée au contexte local, mais également des financements nécessaires. C'est peut-être là où les territoires ont besoin d'être accompagnés. Les décisions s'imposent aux organisations sans que ces dernières puissent être financièrement aidées pour les mettre en œuvre.
La transition numérique responsable n'est pas une option, mais une nécessité collective. Chaque acteur, institution, entreprise, citoyen, a un rôle à jouer pour construire un numérique plus sobre, plus éthique et plus durable. Le SICTIAM continuera d'accompagner les collectivités dans cette transformation, en mettant l'humain, la sécurité et l'environnement au cœur des usages numériques.
Le SICTIAM
Le Syndicat mixte d'Ingénierie pour les Collectivités et Territoires innovants des Alpes et de la Méditerranée (SICTIAM) a été fondé en 1989 à l'initiative de 14 communes des Alpes-Maritimes, et est aujourd'hui l'un des principaux opérateurs publics de services numériques et énergétiques en France. Sa mission est d'accompagner les collectivités territoriales dans leur transition numérique et énergétique, en mettant l'accent sur l'innovation, la mutualisation et la proximité. Depuis 2008, l'institution a développé une gamme complète de services adaptés aux besoins des collectivités : des services d'ingénierie numérique, de déploiement de fibre optique, de cybersécurité, de gestion des énergies, ainsi qu'une offre de formation dédiée aux agents des collectivités.
Engagé dans une démarche de développement durable, le SICTIAM intègre les principes du Green IT pour optimiser les usages numériques tout en minimisant leur impact environnemental. Numérique et énergie sont au cœur des politiques publiques locales, et le SICTIAM travaille en étroite collaboration avec ses adhérents pour assurer une gouvernance numérique responsable, sécurisée et éthique, au service des territoires et de leurs habitants.
Aujourd'hui, le SICTIAM fédère plus de 470 collectivités et établissements publics, offrant un accompagnement sur mesure. Grâce à une approche fondée sur la solidarité, la proximité et la mutualisation, le SICTIAM continue de jouer un rôle clé dans la transformation numérique et énergétique des territoires, en phase avec les enjeux actuels et futurs.
Et les particuliers dans tout ça ?
Les particuliers peuvent prendre conscience de leur empreinte numérique en utilisant des outils comme le simulateur de l'ADEME, qui évalue l'impact carbone en fonction de l'utilisation des courriels, du streaming ou des visioconférences. Je crois que le maître mot est acculturation. Pour s'impliquer, il est également recommandé d'adopter des gestes simples : prolonger la durée de vie des équipements, limiter la consommation de vidéos en haute définition et réduire le nombre d'appareils électroniques. Des initiatives locales, telles que les Repair Cafés, offrent également des solutions pour réparer les appareils et sensibiliser aux pratiques numériques responsables.
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