Quand plantes et champignons
sont en symbiose

Par Emmanuel Maumon, 4 décembre 2024 à 02:26

Planète bleue

Implantée à Sophia Antipolis et à Grasse, Mycophyto a développé des solutions innovantes pour régénérer les sols, améliorer les rendements des agriculteurs et limiter l’utilisation de produits phytosanitaires. Pour cela, elle utilise les interactions entre les plantes et des champignons mycorhiziens microscopiques. Après de premières expérimentations probantes, Mycophyto est désormais prête à passer au stade industriel et à construire sa première usine. Son ambition : devenir un leader européen des biostimulants.

Bel exemple de l’innovation à la française, Mycophyto a été fondée en 2017 par Justine Lipuma, une jeune chercheuse en microbiologie, et Christine Poncet, une experte des systèmes agricoles de l’INRAE. Le point de départ, les recherches de Justine Lipuma sur les interactions entre les plantes et les champignons mycorhiziens microscopiques. Mycophyto a pris le relais pour mettre l’utilisation de ce phénomène naturel au service des agriculteurs.


Des recherches mises au service des sols


Dès le départ, Justine Lipuma a souhaité sortir son projet de recherche des laboratoires pour l’éprouver directement dans les champs. Enrichir les sols, les régénérer, aider les plantes dans leur développement... La volonté était de parvenir rapidement à un résultat qui permette de modifier les pratiques des agriculteurs, à qui l’on reproche souvent d’utiliser trop de produits phytosanitaires et d’engrais chimiques. La modification de ces pratiques s’avère aujourd’hui indispensable, mais pour y parvenir il convient d’accompagner les agriculteurs et de leur offrir des solutions alternatives viables économiquement.


Pour Mycophyto, la régénération des sols constitue la clé de voûte d’une agriculture performante. Les solutions que la société développe ont plusieurs vertus. Elles permettent de préserver notre agriculture face aux changements climatiques, elles préservent notre santé en limitant l’utilisation d’engrais chimiques, elles améliorent les rendements et elles servent à régénérer les sols qui sont aujourd’hui largement appauvris. La technique développée par Mycophyto assure une pérennité dans l’utilisation des sols, sans avoir forcément besoin d’y remettre un produit tous les ans. La mycorhization en effet, cette symbiose qui se fait entre la plante et les champignons microscopiques, produit des effets à plus long terme. 


Les principes de la mycorhization


Présents sur terre bien avant les dinosaures, les champignons mycorhiziens sont particulièrement nombreux. On en recense 350 espèces qui sont compatibles avec 85 % des plantes sur la planète. Il existe donc un nombre important de combinaisons possibles. Pour développer ses solutions, Mycophyto utilise un algorithme de prédiction basé sur l’intelligence artificielle. À partir d'une grande diversité de données (données disponibles sur le climat, les plantes, la typologie des sols et les combinaisons de champignons), l’objectif consiste à déterminer la bonne recette pour obtenir la symbiose la plus pertinente entre les plantes et ces champignons microscopiques. 


Mycophyto a développé toute une collection d’espèces de champignons mycorhiziens et est en passe de constituer la première biobanque européenne. Outre ce volet R&D, la startup dispose de tous les systèmes de production de ces champignons mycorhiziens. Son innovation brevetée se trouve précisément dans sa façon d’amplifier ces champignons. Ses usines sont des serres dans lesquelles elle cultive des plantes afin de pouvoir cultiver des champignons car il est impossible de faire l’un sans l’autre. Mycophyto va ensuite pouvoir formuler des champignons spécifiques pour les contenir dans un sable, une poudre ou un gel en fonction de la culture qui va être adressée. 


Les résultats positifs des premières expérimentations


Les principaux impacts agronomiques observés lors des premières expérimentations concernent tout d’abord les rendements. Ces derniers progressent fortement. Pour la rose centifolia par exemple, sur laquelle Mycophyto travaille dans le Pays de Grasse, les rendements ont augmenté de 25 à 30 %. Pour la tomate, un projet mené à Cannes chez le maraîcher bio Orso a montré une augmentation des rendements de 15 %. À noter que pour la tomate, les rendements peuvent être encore meilleurs lorsqu’on limite l’utilisation des engrais azotés. La plante retrouve alors un équilibre naturel qu’elle avait sans doute perdu.


Outre l’amélioration des rendements, la mycorhization génère une rétention d’eau à la racine des plantes. En ces temps de sécheresse et de stress hydrique de plus en plus prégnants, les champignons mycorhiziens font ainsi office de micro éponges autour des racines des plantes en aidant ces dernières à mieux réguler leur approvisionnement en eau. Sur la vigne, une expérimentation menée pour les rosés de Provence avec le Château Sainte Roseline a permis de constater une augmentation des rendements de 40 à 45 % en temps de sécheresse. Des résultats qui ont convaincu le groupe Lauvige de nouer un partenariat stratégique avec la société. Dans le domaine du maraîchage, un autre distributeur, Caahmro, présent principalement dans l’ouest de la France, a également signé un accord du même type.


 Une première usine en vue


Spin-off de l’INRAE et d'Université Côte d’Azur, Mycophyto est toujours présente à Sophia Antipolis au sein de l’INRAE et s’est également installée à Grasse en 2023. Elle est désormais prête à passer au stade de l’industrialisation et vient d’ailleurs d’être lauréate de l’appel à projets Première Usine lancé par la BPI. Elle va donc recevoir une subvention conséquente pour construire sa première usine, ce qui lui permettra d’augmenter ses capacités de production afin de pouvoir répondre à la demande. Mycophyto dispose en effet actuellement d’une cinquantaine de clients récurrents issus des principales filières qu’elle adresse : la vigne, les terrains sportifs et les espaces verts, le maraîchage et la plante à parfum, filière qui revêt une importance particulière pour la société sophipolitano-grassoise.


Les cofondatrices de Mycophyto souhaitent pouvoir implanter leur première usine dans les Alpes-Maritimes, au plus près de l’histoire de la startup. Un vœu pas forcément simple à exaucer car la région n’est guère propice pour trouver du foncier disponible, et encore moins pour l’agriculture. Des études sont en cours, mais le projet n’est pas encore bouclé. Par la suite, prévoyant de se développer en France et à l’international, Mycophyto sera sans doute amenée à construire d’autres usines ailleurs, à proximité des filières et des territoires qu’elle vise. Ainsi, elle regarde déjà avec intérêt la Belgique ou le nord de la France pour la grande culture, mais aussi le Maroc dont l’agriculture est de plus en plus touchée par le stress hydrique. Un pays également en mesure de constituer pour Mycophyto une porte d’entrée sur l’Afrique.


L’ambition de devenir leader européen des biostimulants


Forte de la prochaine augmentation de ses capacités de production, Mycophyto ambitionne aujourd’hui de devenir un leader européen dans le domaine des biostimulants. Une ambition et un espoir partagés par les nombreux investisseurs et institutions qui la soutiennent.


Autre exemple de la considération grandissante accordée à la société, Justine Lipuma a été invitée à faire partie de la délégation française lors de la visite officielle du président de la République au Maroc, du 28 au 30 octobre dernier. Une occasion en or pour la pépite azuréenne de jouer un rôle majeur dans les partenariats qui se façonnent actuellement dans le domaine de l’agriculture entre la France et le Maroc. Depuis plusieurs mois, Mycophyto tisse ses relations avec des investisseurs et des producteurs agricoles marocains pour mettre en œuvre des projets de R&D de l'autre côté de la Méditerranée.

Parution magazine N°47 (décembre, janvier, février)

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