Naval décarboné
ces nouveaux OFNI…

Par Antoine Guy, 4 septembre 2024 à 10:39

Énergivores

En 2020, trois associés font un pari. La décarbonation du maritime est souhaitable mais surtout possible. Ils fondent NepTech et s’installent sur le technopôle de l’environnement Arbois-Méditerranée à Aix-en-Provence. Conscient que cette ambition nécessite d’aller bien au-delà d’une simple transition vers une motorisation hydrogène, ils réunissent un panel de compétences maritimes et réinterrogent le concept même de bateau, dans toutes ses dimensions. SophiaMag a rencontré Lenna Gwiss, business developer au sein de la société.

BioTech, GreenTech, FoodTech, MedTech, FinTech,… Tech, tech, tech… les rouleaux de la Tech déferlent sur les grèves des incubateurs et offrent leur bouillonnement aux startupers afin qu’ils puissent surfer sur les planches de leurs rêves entrepreneuriaux.


Boxer oui… mais dans une nouvelle catégorie


À Aix-en-Provence, en mai 2020, cette glisse irrésistible a cueilli trois start-surfeurs, Tanguy Goetz, Clément Rousset et Corentin Bigot, qui, non contents de créer leur entreprise, ont osé la NepTech, une nouvelle catégorie de la technothèque, où Nep, diminutif de Neptune, désigne le dieu latin des océans. Pour regrouper les sciences et technologies du secteur maritime, la catégorie SeaTech semblait une évidence, mais malheureusement déjà confisquée par une école d’ingénieurs de Toulon. Logiquement, voyaient alors le jour le vocable et la société NepTech. Cet enfant de l’écume se définit comme une entreprise à impact qui « innove pour maximiser les performances énergétiques et environnementales des navires », énonce Lenna, ajoutant combien « le pôle Mer Méditerranée et son écosystème ont été précieux pour la société. »


Avant toutes choses, les performances environnementales


« Maximiser les performances énergétiques d’un navire » sonne bien, mais somme toute, reste un mantra un peu trivial, adopté sans résistance par le plus grand nombre. En revanche, « maximiser les performances environnementales » d’un navire surprend davantage et éclaire à propos de l’ADN de l’entreprise. Abandonner un bon vieux diesel marinisé ‘teufteufant’ pour le remplacer par une machinerie vertueuse à hydrogène (ou électrique), est une ambition plus que remarquable en pleine époque de chasse aux sorcières à effet de serre. Mais toutes choses étant égales par ailleurs, batteries, piles à combustible, réservoirs… alourdissent diablement l’objet flottant encore non identifié. Corollaires pour l’architecte naval : s’il ne veut pas que son futur OFNI devienne une usine à gaz à la ligne de flottaison dramatiquement basse, il lui faut agir sur des leviers d’efficacité : moins de frottement, moins de masse, plus de flottabilité, plus de rendement… et c’est là que s’exprime alors la véritable essence de NepTech.


Une ingénierie hybride, hésitant entre sur-mesure et prêt-à-porter


Les compétences montées à bord du navire forcent le respect : architecture navale, hydrodynamique, mécanique des fluides, énergie et propulsion, optimisation des systèmes… Ces gens savent de quoi ils parlent. La société propose un catalogue de navettes portuaires ou fluviales, dédiées au transport de passagers ou de marchandises, cinq modèles étagés de 12 à 30 mètres, mutualisant un portefeuille d’innovations sur les coques, dans les aménagements et les systèmes de propulsion (électrique, ou hybride ou électro-hydrogène). La société a aussi vocation à proposer des services équivalents à un bureau d’études pour répondre aux spécificités des cahiers de charges des futurs acquéreurs des exemplaires de la série NEP.


L’innovation réside d’abord dans le choix d’une propulsion décarbonée mais la belle réserve quelques autres jolies surprises à ses soupirants. Pour réduire la traînée hydrodynamique de ses bateaux (de 35 %, par rapport à une unité comparable), les ingénieurs ont mis en œuvre un savoir-faire très compétitif en design de carènes doubles de type catamaran (NepHull), en hydrofoil pour sustenter les coques et diminuer la résistance à l’eau (NepFoil), et cerise sur le bateau, une innovation de rupture consiste à injecter des bulles d’air sous les coques pour réduire les frottements (NepAir, générées par exemple par la pile à combustible). Renaissance inattendue mais bienvenue du coussin d’air des aéroglisseurs, dinosaures marins disparus depuis longtemps, ancrés dans les musées et encrés dans les livres d’histoire navale.


La société travaille aussi à partir de jumeaux numériques (NepTwin) avant de mettre à l’eau une unité pour simuler les conditions au plus près du réel. L’équipe anticipe, optimise, dimensionne avec l’outil NepPropeller pour les hélices et, pour les choix d’énergie et de système de propulsion, utilise la suite NepDim. La boite à outils pèse, indéniablement.


Un marché à portée de mains : les navettes portuaires et fluviales vertueuses


La réponse du marché n’a pas été très longue à se faire attendre. Après trois ans de gestation technologique et de R&D, NepTech revendique depuis mai 2024 une première navette basée sur son modèle Nep12, opérationnelle dans la patrie de Georges Brassens. L’opérateur privé « Escale Sétoise » peut chanter sans aucune hésitation que « Ce n’est pas le radeau de la méduse », et tout au contraire, s’enorgueillir d’offrir à 70 passagers, une expérience de navigation sans bruit, sans odeur, une traversée très « Les copains d’abord » pour le plus grand bonheur des usagers et de l’opérateur. « Cette navette fonctionne de 9h00 à 21h00 et se recharge ensuite la nuit à l’aide d’une prise classique à quai. La mise en service est enfantine pour l’équipage », commente satisfaite Lenna. Deux autres unités H2 ready sont en cours de construction dans un chantier de La Rochelle pour une mise en service aux Sables d’Olonne. « Ces deux navettes portuaires NepTech serviront aussi aux moments très convoités du départ et de l’arrivée du Vendée Globe ! », dit-elle enthousiaste. « Un troisième projet verra bientôt le jour sur le lac Léman, une vedette scientifique pour l’INRAE », conclut-elle ensuite.


L’offre et l’approche NepTech séduisent toutes les organisations soucieuses de respecter les zones dans lesquelles elles naviguent. « Les calanques près de Marseille, par exemple, sont extrêmement protégées. Nos navettes intéressent les opérateurs car elles sont parfaitement adaptées pour respecter tous ces environnements où la biodiversité est menacée par trop de présence humaine et de pollution anthropique ». Quand nous demandons à Lenna si une concurrence existe, Lenna répond positivement. « C’est un marqueur important de l’existence du marché et de sa dynamique ». NepTech fait aujourd’hui figure de pionnière car la filière électro-hydrogène souffre du syndrome de la poule et de l’œuf. « Les infrastructures d’avitaillement en hydrogène et en recharge électrique peinent à voir le jour par manque de bateaux qui les demandent, et les acquéreurs hésitent à porter leurs investissements sur ce type de navire par peur de ne pas trouver dans les ports les structures d’accueil adaptées », regrette-elle.


Une mobilisation significative à l’international


Hors de l’Hexagone, le naval bouge, démontrant une appétence pour un changement de paradigme. En baie de San Francisco, un ferry de 22 m zéro émission de carbone, le Sea Change, mu à 100 % par des piles à combustible, transporte depuis le 19 juillet 2024, 75 passagers gratuitement entre le terminal du quai 41 et le Downtown San Francisco Ferry Terminal. Cette opération largement subventionnée par les pouvoirs publics et quelques grosses entreprises privées, vise à démontrer une faisabilité et à amorcer la pompe (à hydrogène). « En Europe, les Norvégiens sont en avance et ont lancé la construction de deux méga-ferrys de 117 m de long, embarquant 600 passagers et 120 voitures », nous dit Lenna. Les piles à combustible de ces géants produiront 6,4 MW mais leur propulsion hydrogène-électrique sera secondée par un mode diesel-électrique, essentiellement à cause du poids des batteries. À Rotterdam, le H2 Barge 1 est un porte-conteneur fluvial de 110 m de long, auparavant à propulsion classique, rétrofité en mai 2023 par le Néerlandais FPS (Future Proof of Shipping… ce nom se passe de commentaire) après un projet de cinq ans financé par de nombreuses entreprises comme Air Liquide. Il fonctionne désormais 100 % à l’hydrogène et étendra bientôt sa zone de cabotage le long du Rhin. Petit revers de la médaille, sa capacité de 208 EVP a été réduite à 200 EVP.


Nécessité de repenser le maritime dans sa globalité


Le changement de paradigme, cette transition vers l’électro-hydrogène est désirable, souhaitable, faisable même, mais nous sommes prévenus, il s’agit moins de changer un bloc moteur que de repenser l’ingénierie complète des navires, surtout s’ils sont grands. Se profilent alors à l’horizon, parfois un peu bouché, des mots comme innovation, recherche, emploi, interdisciplinarité… bref tout ce que sapiens aime souligner quand il rappelle avec fierté qu’il appartient à la seule espèce disposant d’un cerveau câblé de la sorte.


C’est le moment de le prouver. Alors ? Au travail ! NepTech et d’autres ont déjà bien commencé.

Parution magazine N°46 (septembre, octobre, novembre)

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