La Prud’homie de pêche d’Antibes
Gardienne d’une tradition séculaire
Polis
Jérôme Bottero, le premier prud'homme, sur son bateau © Prud'homie d'Antibes Golfe-Juan
À Antibes, la pêche est bien plus qu’un métier : c’est une tradition séculaire. Jérôme Bottero, Premier prud’homme de la prud'homie de pêche d’Antibes Golfe-Juan, nous parle des défis actuels de la pêche, des impacts du changement climatique et des efforts pour préserver cette activité essentielle. Antibois depuis plusieurs générations, il est également le président de l’association Fête et Tradition des gens de mer d’Antibes, qui organise les très populaires Fêtes de la Saint-Pierre.
Vous êtes Premier prud’homme de la prud’homie des pêcheurs d’Antibes Golfe-Juan depuis trois ans. En quoi cela consiste-t-il ?
Une prud'homie, c'est l'organisation qui regroupe les pêcheurs de la ville. Il y a quatre prud'hommes et les autres pêcheurs. On s'occupe de réguler la pratique en faisant respecter le règlement des pêches que nous adoptons chaque année avec l'ensemble de la prud'homie. Ce règlement s'applique sur tout le littoral. Il détaille les dates de pêches, les types de filet à utiliser et leur longueur, etc. Le but est d'assurer une bonne gestion de la ressource.
Avec six pêcheurs en activité sur l’ensemble du territoire d’Antibes Golfe-Juan, il n'y a pas de conflits entre les pêcheurs. Lorsque nous étions une trentaine en activité, cela a pu arriver, mais aujourd'hui, il y a assez de place pour tout le monde pour pêcher et le règlement est bien appliqué par tous.
En tant que Premier prud'homme, j'assure la présidence de la prud’homie et je représente les pêcheurs auprès des autorités locales comme la mairie ou les affaires maritimes. Je m'assure aussi que les décisions prises soient respectées, comme le règlement de pêche.
C’est avant tout une passion, votre métier ?
J’ai commencé à pêcher très jeune. Je suis né à Antibes et la pêche fait partie de ma famille depuis quatre générations. Mon père était menuisier sur le port et mon grand-père charpentier également pour les bateaux. Je partais avec mon parrain dès le matin pour lever les filets. Quand j’avais 10 ans, je savais déjà que j’allais devenir pêcheur professionnel.
Quels sont les principaux défis auxquels vous faites face en tant que président de la prud’homie ?
Le plus gros défi, c’est de trouver de jeunes pêcheurs pour reprendre le flambeau. Nous sommes actuellement dix pêcheurs actifs dans la prud’homie, et le plus jeune a bientôt quarante ans. Pourtant la demande de poisson est là ! Quand je pars le matin, je sais que je vais vendre toute ma pêche à une plage ou au détail sur le stand devant les remparts. Donc il y a du travail et il nous faut des jeunes pour continuer. Pêcheur est toujours un métier difficile, physique, mais nous avons aussi de nouvelles technologies. Par exemple, j’ai un sondeur qui me permet de connaître les fonds. Aussi, les filets sont plus faciles à retirer avec des assistances hydrauliques.
La température de la mer Méditerranée a atteint des niveaux record cet été, près de 30 degrés. Vous avez constaté des effets du changement climatique ?
Oui, le climat a changé depuis que j’ai commencé il y a 30 ans. Les étés sont beaucoup plus chauds, et on a traversé deux années de sécheresse en 2022 et 2023. Mais en mer, je ne vois pas de grandes différences dans mes prises. Il n’y a pas de nouvelles espèces venant du sud de la Méditerranée. Ce que je remarque, ce sont des variations d’une année sur l’autre. Par exemple, il y a deux ans, on capturait beaucoup de saints-pierres, alors que maintenant, il y en a moins. Ça dépend des années. Et habituellement au mois de mai, il y avait des dentis, mais cette année, rien. Des variations qui ont toujours existé, y compris quand j’ai commencé mon métier il y a 26 ans.
Quand on pense au port d’Antibes, on pense avant tout au port de plaisance qui accueille les plus grands navires de luxe de la planète. Comment se passe cette cohabitation ?
C’est sûr qu’Antibes est davantage connu pour ses yachts que pour ses pêcheurs, surtout en été où il y a des bateaux de partout. Certains de mes collègues ne travaillent pas durant la saison estivale. Les plaisanciers ne sont pas toujours respectueux de nos bouées qui indiquent pourtant la présence des filets qu’on laisse la nuit par exemple, et ils décident de mouiller pile dessus. Mais c’est un équilibre économique à trouver. Les pêcheurs d’Antibes savent que le yachting apporte beaucoup pour la ville. Et la mairie est très soucieuse de cette problématique et se montre à l’écoute.
En tant que président, vous avez aussi joué un rôle dans la création d’une zone marine protégée au large du cap d’Antibes. Quels sont les résultats de cette initiative ?
Par un arrêté du 23 octobre 2020, le ministère de la Mer a officialisé la création d’un cantonnement de pêche sur la commune d’Antibes aux abords de la pointe Bacon et du sec de la Péquerolle. L'exercice de la pêche sous toutes ses formes est interdit dans l'intégralité du périmètre.
Cette zone marine protégée de Péquerolle est conçue comme un sanctuaire. La pêche est totalement interdite sur une surface de 66 hectares que les pêcheurs d’Antibes ont choisi de préserver. Les poissons, les langoustes peuvent y vivre. Et cela fonctionne, puisqu’après quatre ans de création, nous avons déjà remarqué des effets positifs : nous retrouvons plus de rougets, à nouveau des chapons et même des sars. Malheureusement, nous attendons toujours que la zone soit signalée par des bouées. Alors qu’elle est située au pied du sémaphore de la Garoupe, à la vue des garde-côtes, je retrouve encore des bateaux de particuliers, tranquillement en train de pêcher à la ligne. J’aimerais que les règles soient respectées.
Les 33 prud’homies de pêche sont propres au littoral méditerranéen. Il s’agit sans doute de la plus ancienne forme de corporation en France, puisque leurs premières traces remontent au Moyen ge. Celle d’Antibes Golfe-Juan a été créée au 15e siècle.
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