Quid de l’aquaculture azuréenne ?

Par Emmanuel Maumon, 30 août 2024 à 10:51

Polis

Depuis 35 ans, Aquafrais Cannes élève des poissons en pleine mer en utilisant des pratiques de pêche durables. La logistique mise en place lui permet de livrer un poisson extrêmement frais. Un produit de grande qualité qui figure à la carte de nombreux restaurants étoilés. Rencontre avec Jérôme Hémar, directeur général d’Aquafrais Cannes, pour évoquer les méthodes de l’entreprise ainsi que ses projets de développement, dont la création d’un nouveau site qui a défrayé la chronique.

Jérôme Hémar, Aquafrais Cannes élève des poissons en pleine mer, en cherchant à le faire de manière durable. Quels sont les principales caractéristiques de votre aquaculture ?


Il y a quarante ans, il fallait pêcher 5 kilos d’anchois pour produire un kilo de bars à Cannes. Aujourd’hui, il ne faut plus que 300 grammes de poisson sauvage pour faire un kilo de poisson d’élevage. Le reproche qui est régulièrement fait à l’aquaculture est que l’aquaculture nécessite beaucoup de poissons sauvages, transformés ensuite en farines animales, pour nourrir les poissons d’élevage. C’était vrai avant mais nous avons complètement inversé ce ratio grâce à l’introduction dans l’alimentation des poissons de végétal et de coproduits de la pêche qui restent lorsqu’on a levé les filets. On les revalorise sous forme de farines pour nourrir nos poissons. Ce sont d’excellents nutriments.


Une méthode de pêche durable


Vos poissons sont élevés dans des cages à faible densité moyenne. Quels sont les avantages de ce type d’élevage ?


Cette faible densité constitue un véritable marqueur pour notre ferme. Alors que la réglementation régionale impose un maximum de 40 kg/m3 d’eau et que le label bio impose 15 kg/m3, nous sommes ici entre 12 et 13 kg/m3. Cela signifie que nos poissons vont avoir plus d’espace pour nager et créer du muscle. La faible densité diminue également le risque sanitaire en évitant les possibilités de contamination massive. Enfin, elle a aussi une incidence environnementale.


Vous apportez également une attention particulière à l’entretien de vos filets. Comment procédez-vous ?


La propreté des filets est importante pour qu’il y ait toujours une très bonne circulation de l’eau entre le milieu extérieur et l’intérieur du filet. L’une des pratiques de l’aquaculture consiste à enduire ces filets d’une peinture antifouling comme celle qu’on applique sur les coques de bateau pour prévenir la fixation des salissures. Chez Aquafrais, nous refusons de mettre un biocide dans un filet que viennent grignoter les daurades, ce qu’elles adorent faire. Elles risqueraient en effet d’ingérer un produit qui serait toxique pour elles. Nous n’utilisons donc pas ces peintures antifouling, ce qui nous oblige, pour garder nos filets propres, à les sortir plus souvent de l’eau pour les nettoyer au karcher.


Vous pêchez au salabre. Quelles sont les raisons de cette méthode artisanale ?


La pêche au salabre est un moyen de préserver la qualité du poisson qui réside pour 50 % dans les pratiques d’élevage et pour 50 % dans le traitement du poisson après la pêche. Ces derniers 50 % commencent par une pêche délicate au salabre en sortant de relativement petites quantités avec cette sorte de grande épuisette. Cela nous permet de ne pas abîmer le poisson au moment de sa sortie de l’eau. De plus, nous ne sortons de l’eau que le poisson qui nous a été commandé par nos clients. Nous pêchons le poisson entre minuit et quatre heures du matin, nous le conditionnons entre quatre et huit. Il prend ensuite le camion à dix heures et peut être livré à minuit à Rungis. Le poisson arrive donc ultra frais. En comparaison, en Grèce ou en Turquie, ils pêchent tout un enclos en même temps. Ils amènent le poisson à terre et doivent le stocker car il ne correspond pas systématiquement aux commandes. Il y a ensuite une phase de transport de trois ou quatre jours en camion. Ainsi, sur les marchés de gros, nous avons un poisson pêché il y a moins de 24 heures face à un poisson qui a déjà cinq ou six jours.


Des sites de production en pleine transformation


Actuellement vous avez plusieurs sites de production sur le littoral des Alpes-Maritimes. Quels sont-ils ?


Jusqu’à l’année dernière, Aquafrais Cannes avait cinq concessions : deux le long du Cap d’Antibes, une ici à La Batterie, une aux îles de Lérins et une à Théoule. En août 2023, nous avons obtenu une nouvelle concession qui va se situer à mi-distance entre La Batterie et le site des îles de Lérins. L’ouverture de ce nouveau site s’accompagnera de la fermeture des deux sites du Cap d’Antibes et de celui de Théoule-sur-Mer. Aujourd’hui, nous sommes dans la phase de transition entre ces deux situations.


Le projet de nouveau site dans la baie de Golfe-Juan a longtemps défrayé la chronique et a fait l’objet de nombreuses procédures. Où en est-il aujourd’hui ?


L’arrêté préfectoral a été pris, nous autorisant à ouvrir et à exploiter ce nouveau site. Cette autorisation fait l’objet d’un recours non suspensif qui est en cours d’instruction. Ce site a une superficie de 24 000 m2 qui est équivalente à celle des trois sites que nous nous engageons à fermer. Pour donner un ordre de grandeur, notre concession cannoise de La Batterie fait 30 000 m2, nous sommes donc loin d’un projet pharaonique. Sur ce site, nous allons conserver ce qui fait la qualité de nos produits avec des densités identiques à celles de notre élevage actuel. Par contre, nous allons travailler sur un endroit qui se trouve être sur des fonds de cinquante mètres, ce qui nous permet d’avoir des filets de quinze mètres de profondeur, quasiment deux fois plus profonds que nos filets actuels. Ainsi, pour une superficie équivalente, nous pourrons élever deux fois plus de poissons.


Un objectif de 1 200 tonnes/an à l’horizon 2030


Quelles sont les perspectives de développement d’Aquafrais Cannes ?


Une fois que toutes ces transformations auront eu lieu, notre objectif est d’avoir une production annuelle de 1 200 tonnes contre 600 aujourd’hui. Si pour une production française cela peut paraître significatif, pour une consommation française composée principalement d’importations, c’est extrêmement faible. Par rapport aux 120 000 tonnes de la production en Grèce, produire 600 tonnes de plus reste juste anecdotique. Par ailleurs, comme nous avons des cycles d’élevage longs, entre deux et quatre ans, ce passage se fera par paliers successifs pour parvenir aux 1 200 tonnes à l’horizon 2030.


Aujourd’hui, l’aquaculture dans la baie de Cannes est-elle rentable ?


L’aquaculture est une activité qui demande beaucoup d’immobilisations, principalement dans le stock. Si nous élevons nos poissons pendant quatre ans, nous les mettons à l’eau lorsqu’ils font 10 grammes. Après avoir payé l’alvineur, nous allons nourrir les poissons durant quatre ans et rémunérer les aquaculteurs qui s’occupent d’eux. Ce n’est qu’au bout de quatre ans que nous allons pêcher ces poissons pour les commercialiser et récupérer de l’argent. Notre activité est rentable à condition de pouvoir valoriser une production qualitative, livrée en circuit court et en flux tendu. Un produit totalement différent de celui venant de Grèce ou de Turquie. Cela implique de pouvoir le vendre à un prix qui n’est pas celui pratiqué sur les produits d’import.


Une cohabitation apaisée avec les pêcheurs traditionnels est-elle possible ?


Nous sommes bien conscients d’exercer notre activité dans un milieu exceptionnel. Tout au long de notre projet de création d’un nouveau site, nous avons cherché à rencontrer un maximum de personnes pour l’expliquer. Travailler en bonne intelligence avec les pêcheurs traditionnels est tout à fait possible. Le meilleur exemple, c’est le cas concret du site des îles de Lérins qui va être modernisé. Dans le cadre de cette modernisation, nous avons discuté avec tous les acteurs de la baie, dont les pêcheurs de Cannes. Suite à ces échanges, nous avons considéré que le plus opportun, pour s’éloigner de la posidonie et libérer une zone propice à la pêche professionnelle, était de décaler notre site. Du coup, ce projet a fait l’unanimité en commission nautique locale.


De plus, par rapport à la pêche professionnelle, il existe un effet méconnu mais extrêmement fort d’une ferme aquacole sur la population de poissons sauvages. C’est phénoménal ! Ici sur notre site de La Batterie, des études scientifiques ont démontré qu’il y avait une très forte population de poissons sauvages. Une population allant des tout petits poissons herbivores comme les castagnoles, jusqu’aux super-prédateurs comme des dentis, des barracudas et même des mérous. D’une façon ou d’une autre, cette profusion ne peut que bénéficier à la pêche professionnelle.

Parution magazine N°46 (septembre, octobre, novembre)

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