L’ingénierie solaire dans tous ses états
Énergivores
Chaîne de production de cellules photovoltaïques © DR
Philippe Blanc est responsable du département Energétique et Procédés et directeur adjoint du Centre Observation, Impacts, Energie de MINES Paris – PSL, campus Pierre Laffitte (Sophia Antipolis) et tout un pan de ses recherches est consacré au solaire. Après dix ans passés à l’aérospatiale notamment pour des applications militaires d’observation de la Terre, il s’est pleinement investi depuis quinze ans dans l’exploration des usages de cette ressource renouvelable particulière. Il est à l’origine, avec Yves-Marie Saint-Drenan, d’une Chaire de mécénat consacrée aux Sciences des Données solaires (SCIDOSOL) et a réussi à fédérer des industriels locaux et nationaux (TSE, Solaïs, Somfy, RTE, Total Energie) pour co-financer une recherche en libre accès.
Pourquoi est-ce si important de prédire précisément les caractéristiques de la ressource solaire ? Au vu du volume embryonnaire actuel d’installations photovoltaïques et de la marge de progression à venir dans les années qui viennent, on peut franchement se poser la question. Le solaire étant plutôt sous-financé en comparaison avec d’autres énergies, pourquoi flécher le peu de fonds disponibles en études et en collecte fine de données au lieu d’investir à 100% dans les installations photovoltaïques pour rattraper le retard français ? L’hexagone ici est en effet très loin du podium européen et la Côte d’Azur, assez contrintuitivement, d’ailleurs, a manqué l’opportunité d’être locomotive.
Entre logiques scientifique et capitaliste
Pour Philippe Blanc, il y a deux éléments de réponse à cette question. Le premier élément est que pour prévoir les caractéristiques de la ressource solaire, il n’y a pas de coûts associés en tant que tel pour collecter les données. Les données sont extraites de données existantes qui sont déjà collectées par les satellites, notamment météorologiques. Comme il le dit lui-même : « Les capteurs des satellites Meteosat n’ont pas été initialement paramétrés pour caractériser la ressource solaire, pour autant, parmi les indicateurs déjà collectés, certains sont pertinents pour la caractériser. Très pratiquement, on utilise des fonds de carte IGN pour la France ou Google Map, on récupère les données utiles, puis on les traite pour fournir de la donnée exploitable pour prendre des décisions à échelle urbaine.» Cette démarche est tout autant opportune que réaliste. Un développement de satellite coûte en effet des milliards et il est improbable qu’un tel investissement soit fait uniquement dans l’optique d’étudier uniquement la ressource solaire.
Le deuxième élément de réponse est à chercher dans les logiques capitalistiques. Dans la filière du solaire, tout l’investissement se fait en effet d’un coup, au début, pour construire la centrale d’énergie photovoltaïque. Une fois construite, la source du soleil étant gratuite, il y a peu de frais hormis les frais de fonctionnement et d’entretien général des installations. Comme Philippe Blanc l’explique : « Quand il y a un projet d’installation de centrale photovoltaïque de grande capacité, il faut être capable de se faire financer les infrastructures et donc, de montrer aux banques la rentabilité de la centrale. Il faut donc être assez précis sur la quantité d’énergie que la centrale va pouvoir produire et également sur la temporalité de cette production. Ce ‘quand’ devient d’ailleurs de plus en plus important et sur le marché de l’énergie, certaines entreprises bâtissent leur modèle en développant des solutions de stockage pour être capable de vendre quand les prix d’électricité sont au plus haut. »
La spéculation solaire est en marche. Rappelons qu’un marché spot existe pour les prix de l’énergie (Epex spot) et que dans ce marché européen de l’électricité, ce sont les bourses qui établissent les prix spot des MWh la veille pour le lendemain, en infrajournalier (i.e. par tranche horaire), en fonction d’estimations qui cherchent à coller au plus près du réel entre l’offre et la demande. L’idée restant toutefois d’optimiser les systèmes existants, les mathématiques appliquées prennent ici tout leur sens car pour vendre l’électricité au bon moment, il est capital de connaître sa production annuelle, mais aussi de pouvoir se projeter, d’un jour à l’autre, puis heure par heure. Ces mécanismes fins de prévision sont les nouvelles clés pour accompagner les transitions actuelles.
Entre logiques rurale et urbaine
L’accès au foncier est au cœur du développement photovoltaïque et un sujet épineux dans le secteur car il touche aux centrales en milieux naturels, agricoles et forestiers. Construire une centrale sur 10 hectares en zone forestière n’est pas neutre en effet, ni sur la biodiversité, ni d’un point de vue paysager, même si d’un point de vue technique le transport d’électricité n’est pas systématiquement un problème. Les adeptes du photovoltaïque dans ses milieux naturels y verront un signe d’engagement fort dans la transition énergétique. Ses détracteurs en pointeront le paradoxe : pourquoi, au vu de la faible imprégnation actuelle en milieu urbain, planter des dizaines de milliers de panneaux dans des zones boisées quand tant d’opportunités de foncier déjà anthropisés, non utilisés et moins chers existent en ville ne serait-ce qu’en ombrières de parkings ou en toits ?
Pour Philippe Blanc, fervent défenseur des solutions urbaines, l’évolution ces dernières années est intéressante. Au niveau règlementaire d’une part, la loi du 24 février 2017 autorise explicitement l’autoconsommation sur les logements individuels et collectifs ce qui commence à avoir pour corollaire d’encourager les investissements privés dans le solaire. RTE, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité, a produit un travail remarquable de prospective en 2020 en se projetant à 2050 sur les futurs énergétiques. Dans un pays où le nucléaire est une religion, ce rapport a secoué les croyances en indiquant que dans le mix énergétique à venir, il y aura forcément une part de solaire, non pas par piété mais par nécessité. Comme l’explique Philippe Blanc, « la France en est à 15 gigawatt-crête (GWc) aujourd’hui et on est en train de prendre une courbe de croissance importante. D’ici 2050, en fonction des scenarii, on estime que la part énergétique du solaire dans le mix énergétique français sera compris dans une fourchette entre 70 et 200 GWc. Si on le traduit en emprise foncière, 1 gigawatt de photovoltaïque correspond environ à 500 hectares de modules avec une empreinte au sol de l’ordre de 1 000 hectares. » La fourchette haute correspondrait à moins de 0,4 % de la superficie de la France.[1]
Les questions d’ombrage restent pour autant complexes en milieu urbain avec un impact immédiat sur le rendement des panneaux et tout un pan de recherche au sein du Centre Observation, Impacts, Energie de MINES Paris - PSL est consacré à développer des outils algorithmiques qui permettent de calculer précisément l’impact du phénomène d’ombrage. Une simulation récente a notamment été effectuée pour équiper le site parisien de l’École des Mines, au jardin du Luxembourg. L’outil développé en interne est capable de calculer toutes les 5 minutes pour tous les m² du site la quantité précise d’énergie solaire que chaque parcelle reçoit comme rayonnement. Connaître précisément de quelle quantité d’ensoleillement et d’ombrage on parle permet de convaincre des développeurs d’investir ou non dans tels projets photovoltaïques en zone urbaine. Sur un plan plus local, une activité pédagogique du cycle d’ingénieurs civils de MINES Paris – PSL va avoir lieu en novembre 2023 avec la CASA et la Mairie de Valbonne sur le rôle de l’énergie solaire pour la transition de ce territoire (CASA2040), avec en autres, des projets d’autoconsommation photovoltaïques. Plusieurs élèves-ingénieurs vont donc se rendre sur le campus Pierre Laffitte et se pencher, pendant trois semaines, cette année sur cette problématique 100% sophipolitaine.
Des technologies de conversion de plus en plus efficaces
« Les cellules photovoltaïques qui sont actuellement commercialisées sur le marché ont un rendement d’environ 20%. Le rendement peut aller jusqu’à 48% pour des usages en laboratoire ou dans le spatial. Il faut se rappeler qu’en 1953, le rendement n’était que de 0,5%. Les chiffres aujourd’hui évoluent très vite. » La courbe est donc exponentielle. Si l’intérêt pour l’énergie solaire n’est pas neuf (les premiers brevets datent du milieu du 19ème siècle), il faudra attendre 1958 pour qu’un premier système photovoltaïque autonome voit le jour dans le cadre d’un projet de satellite. Le Centre OIE de l’École des Mines travaille sur cette quantification de rendement de manière fine, à plusieurs échelles (du très local au national).
La composition de la cellule va jouer sur la qualité des rendements. Une cellule simple par exemple, composée d’un seul type de semi-conducteur, ne va être capable de convertir qu’une seule partie du spectre du rayonnement solaire et aura donc un rendement limité. Un rendement de 46% implique la superposition de plusieurs cellules composées de plusieurs types de semi-conducteurs. Chaque semi-conducteur ayant une sensibilité spectrale différente, le spectre de sensibilité de la cellule photovoltaïque dans son ensemble va s’en trouver étendu. Un peu de physique des semi-conducteurs ne fait jamais de mal et il n’y a pas pléthore de choix de toute façon. Le Silicium (Si) hautement purifié reste l’élément de base d’une écrasante majorité des cellules photovoltaïques et a comme principal avantage d’être recyclable facilement. Les alternatives comme le tellure de cadmium (CdTE) nécessite souvent des métaux rares et offrent peu d’intérêt à l’industrie à part pour des usages de niche, par exemple pour équiper des surfaces non planes ou souples.
Un point de vigilance du secteur reste toutefois le sourcing des cellules photovoltaïques. La Chine a en pratique le quasi-monopole des exportations existantes. Si cela n’a pas que des désavantages (les prix ont été divisés par 10 en une décennie), cette dépendance inquiète. Un projet est donc à l’étude à Fos-sur-Mer pour construire une unité de production de cellules sur 60 hectares. Mûri et mis en œuvre par la société française Carbon, ce projet stratégique permettrait de sécuriser une filière photovoltaïque indépendante sur le territoire français d’ici deux ans.
Mais pour appréhender pleinement la ressource solaire, il est important de prendre en compte plusieurs dimensions. Le rendement bien sûr, qui est intrinsèquement lié aux surfaces d’emprise. Pour une certaine quantité d’énergie produite, plus le rendement est important, moins il va y avoir besoin de cellules photovoltaïques et donc de surfaces à emprunter au sol. L’impact environnemental est également une dimension clé. Si le système photovoltaïque en soi n’émet aucune émission directe lorsqu’il est en fonctionnement, dans une perspective d’analyse de cycle de vie, tout ce qui tourne autour de l’extraction et le traitement de ses matières premières, ses procédés de fabrication, de son transport, de son installation, de sa maintenance et de son recyclage entre en ligne de compte et considérations financières et environnementales tendent aujourd’hui à converger.
Si l’on revient aux fondamentaux, l’énergie la plus utile à partir du rayonnement solaire est l’énergie thermique. Comme le résume finalement très simplement Philippe Blanc « Dans le Sud, ce serait une ineptie d’inefficacité que d’utiliser de l’électricité pour faire chauffer de l’eau. » … Oups ! À bon entendeur...
Pour aller plus loin... PEP2A, une initiative citoyenne à suivre
Créée en 2015 dans les Alpes Maritimes, PEP2A est une initiative citoyenne qui s’est donnée pour mission d’impliquer les Maralpins dans les questions de transition énergétique. Créé initialement sous statut juridique associatif avec le soutien de la région Sud-Provence-Alpes-Côte-d’Azur et du Parc Naturel Régional des Préalpes d’Azur, en partenariat avec le Conseil de Développement et l’École des Mines ParisTech, la structure a évolué en 2017 en Société Coopérative d’Intérêt Collectif.
Le but de la coopérative est de promouvoir et de développer les énergies renouvelables par et pour les Maralpins en encourageant une appropriation des questions énergétiques autour de projets communs de développement d’énergies renouvelables locales. PEP2A finance ainsi les installations d’énergie renouvelables par des levées de fonds auprès des habitants, des collectivités locales et de divers soutiens.
Les installations photovoltaïques financées par PEP2A appartiennent à la coopérative. La vente de l’électricité produite permet de payer les frais de fonctionnement, de rembourser les emprunts bancaires et de financer partiellement d’autres opérations. Au bout de 20 ans, les installations sont remises en pleine propriété aux propriétaires des surfaces (toits, parkings) ou un nouveau contrat renégocié. Afin de minimiser le recours à l’emprunt, au moins 30% des montants investis dans les opérations doivent être financés par les habitants.
PEP2A compte actuellement plus de 130 pionniers qui ont réussi à lever plus de 77 000 EUR. Parmi les réalisations, Les toits de l’entreprise Montagn’ Habits sont équipés de panneaux photovoltaïques depuis avril 2018. Plus de 197 000 KWh ont été produits. la bergerie de la Sagne est en exploitation depuis début 2021. Plus de 152 000 KWh ont été produits. La métropole Nice Côte d’Azur a choisi PEP2A pour équiper en photovoltaïque les futures ombrières du parking.
Pour plus d’information, https://pep2a.fr/
[1] La France hexagonale correspond à une surface de 543 015 km2. 200 GWc de photovoltaïque correspondrait à environ 200 000 ha, soit 2 000 km2, soit moins de 0,4 % de la surface de la France hexagonale. Pour information, la surface agricole de l’hexagone est de l'ordre de 26,7 millions d'hectares, soit environ 267 000 km2.
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