Microbiote et autisme
Mythe ou réalité ?

Par Antoine Guy, 15 juillet 2024 à 06:59

Quoi d'9 ?

À l’Institut de Pharmacologie Moléculaire et Cellulaire (IPMC), à Sophia Antipolis, Laetitia Davidovic et son équipe se penchent depuis quelques années sur l’hypothèse que le microbiote influence le développement du cerveau, ses fonctions et nos comportements, notamment sociaux, ouvrant une possible voie explicative vers la compréhension de l’autisme. Des indices convergent, des corrélations s’accumulent, une lueur d’espoir s’allume, mais il est encore tôt pour conclure sur un lien de cause à effet. Bienvenue dans le monde fascinant du microbiote.

Microbiote, un écosystème en adaptation perpétuelle


Nos intestins hébergent des milliards de micro-organismes. En avons-nous conscience ? Cette joyeuse colonie rassemble surtout des bactéries mais aussi des levures, des champignons, et des virus. Le langage courant l’a nommée béatement « flore intestinale », bien loin de la réalité, contrairement au vocable scientifique consacré « microbiote ». Ces légions d’animalcules bivouaquent, se multiplient, se tolèrent ou encore guerroient depuis notre naissance pour faire leur place dans notre tractus gastro-intestinal. Cet emprunt latinisant désigne, au sein de notre système digestif1 l’estomac et les intestins, les parties en charge de la digestion des aliments et de l’absorption des nutriments mais également de l’excrétion des déchets ou surplus issus des aliments.


Nos petits colocataires vivent tous là bien au chaud, à la fois parce que nous les tolérons, mais aussi parce que nous en avons besoin. Cette symbiose leur assure le gîte et le couvert en échange de diverses tâches chimio-digestives que les enzymes digestives issues de nos ressources génétiques limitées dans ce domaine peinent à accomplir. « Plus exactement, nous n’hébergeons pas un microbiote mais des microbiotes : cutané, axillaire2, buccal, génital, pulmonaire et intestinal. » précise Laetitia. Ces biotes, aussi densément peuplés qu’invisibles, s’équilibrent entre eux et évoluent, en fonction de la diversité des substrats nutritifs que nous leur offrons. Ils s’enrichissent éventuellement de nouveaux fantassins, éduquant au passage notre système immunitaire à tolérer les bactéries symbiotiques et à lutter contre les bactéries pathogènes responsables d’infections intestinales comme, par exemple, la redoutable Clostridioides difficile dont nous reparlerons plus tard. Le microbiote intestinal est également sensible à l’environnement, par exemple il peut être déséquilibré par des médicaments que nous ingérons comme les antibiotiques, des pesticides présents dans notre alimentation, ou les polluants présents dans l’eau.


Cerveau et microbiote, qui de la poule ou de l’œuf ?


Mais alors, pourquoi fouiller du côté du microbiote intestinal quand on cherche à percer les mystères de troubles comme l’autisme qui a priori affectent le cerveau ? « Le microbiote intestinal joue un rôle très important dans notre organisme en contrôlant notre métabolisme, notre digestion, ou encore en éduquant notre système immunitaire. On constate que les patients présentant des pathologies métaboliques (obésité, diabète) ou encore des maladies inflammatoires de l’intestin présentent souvent des anomalies de composition de leur microbiote.» introduit Laetitia. Elle ajoute ensuite « Chez les patients atteint de pathologies psychiatriques, on constate une plus forte incidence de troubles gastro-intestinaux (constipations, diarrhées, douleurs abdominales…), et une différence de composition du microbiote. Des études le décrivent chez l’humain, mais cela reste du domaine de l’observationnel. Bien que toutes ces études ne s’accordent pas bien sur la nature de ces anomalies de composition, nous nous posons des questions. Est-ce un marqueur ? Est-ce qu’une altération du microbiote pourrait affecter le fonctionnement du cerveau ? Les liens de causalité restent à être explorés, notamment dans des modèles animaux. »


Des découvertes encourageantes chez la souris


L’expérimentation directement sur l’humain n’étant pas aisée et éthiquement encadrée, les biologistes, y compris l’équipe de Laetitia ont recours à leur modèle favori : la souris. Contrairement aux apparences, la souris a une palette de comportement social élaborée et montre naturellement beaucoup d’intérêt à interagir avec un congénère, particulièrement s’il est inconnu. Cela en fait un bon modèle pour étudier les déficits d’interaction sociale et de communication retrouvés chez les patients autistes. On juge des habiletés sociales d’une souris grâce à un chronomètre. Une souris saine, animal grégaire s’il en est, interagira en moyenne 40 s sur une durée de 5 mn avec un congénère du même âge et du même sexe. En revanche, une souris avec déficits sociaux acceptera 3 s maximum de contacts avec sa voisine ! « Des chercheurs ont transféré le microbiote de patients autistes à un lot de souris saines et le microbiote de personnes neurotypiques à un autre lot de souris saines. Ils ont constaté que le premier lot présentait des déficits d’interactions sociales, » explique la chercheuse de l’IPMC. Ceci est un pas vers un lien de causalité. Chez l’humain, une étude américaine pilote menées chez un petit nombre de patients autistes présentant un microbiote altéré et souffrant de troubles gastro-intestinaux a montré que le transfert d’un microbiote intestinal sain à ces patients permettait de réduire la sévérité des symptômes gastro-intestinaux et comportementaux, améliorant significativement la qualité de vie de ces patients. « Une seconde étude chinoise a confirmé ces résultats. « D’autres expériences sur des groupes de patients beaucoup plus nombreux sont en cours, aux USA et ailleurs. Ceci est essentiel pour évaluer l’efficacité et la sécurité d’une telle approche thérapeutique et identifier les patients qui pourraient en bénéficier» souligne Laetitia.


Comment et pourquoi le microbiote dialoguerait-il avec le cerveau ?


S’il existe une communication entre cerveau et microbiote, malgré la distance qui les sépare, de quelle nature est-elle ? Les bactéries intestinales ne voyagent pas dans l’organisme. Si cela est le cas, cela peut conduire à une septicémie, une expérience hautement déconseillée pour l’organisme.


La littérature scientifique évoque plusieurs relais possibles pour cette communication.


Le premier en ligne pourrait bien être notre système immunitaire, puisque notre tractus gastro-intestinal recèle 90 % des cellules immunitaires de l’organisme. Les signaux issus des bactéries de notre microbiote pourraient être captés par nos cellules immunitaires qui vont moduler leur production de cytokines en conséquence. Ces petites molécules de communication dont on a beaucoup parlé durant la période COVID voyagent dans nos vaisseaux sanguins et savent passer la barrière hémato-encéphalique pour potentiellement influencer le cerveau car les neurones y sont sensibles.


Deuxième candidat messager entre microbiote et cerveau : le système nerveux périphérique. Il comprend notamment le système nerveux entérique, nommé parfois le deuxième cerveau, qui contrôle le système digestif et en particulier la motilité intestinale. Il n’a pas besoin du système nerveux central et même si ses terminaisons ne vont pas jusqu’à l’épithélium intestinal (paroi intérieure de l’intestin), il est proche du microbiote qui module son activité. Ensuite, un autre élément du système nerveux périphérique, le nerf vague peut faire remonter ces informations au niveau du cerveau, pour impacter tout là-haut les circonvolutions de notre matière grise.


Un suspect, une arme, un mode opératoire, une victime, mais pas de mobile


« Nous nous intéressons à un troisième relais possible, complète Laetitia, il s’agit des métabolites produits par les bactéries du microbiote. Ces molécules sont si petites qu’elles traversent la barrière intestinale, rejoignent nos vaisseaux sanguins et peuvent même se retrouver dans le cerveau. Nous travaillons depuis plusieurs années sur un métabolite bactérien appelé para-crésol (ou p-crésol), produit par des bactéries du microbiote. Nous nous y intéressons car le p-crésol est anormalement élevé chez les patients autistes. » déclare Laetitia qui prolonge sa présentation. « Des souris abreuvées avec de l’eau comprenant du p-crésol dilué, comparées à des souris buvant de l’eau seule, présentent des déficits d’interactions sociales et des comportements répétitifs qui s’apparentent aux symptômes observés chez les patients autistes, mais sans altération de leur cognition et de leur activité locomotrice. 1er enseignement, le p-crésol semble induire très sélectivement des comportements de type autistique. 2ème enseignement, plutôt contre-intuitif : le p-crésol modifie la composition du microbiote, modification qui perdure avec les déficits d’interaction sociale longtemps après avoir stoppé la boisson au p-crésol. 3ème enseignement, plutôt prometteur :si l’on remplace chez la souris, son microbiote altéré par la présence de p-crésol par un microbiote sain, les déficits de comportement social disparaissent.»


L’enquête se poursuit. Notamment, l’équipe de Laetitia voudrait identifier les bactéries produisant le p-crésol. Plusieurs candidats sont en lice. Une bactérie répondant au patronyme inquiétant de « Clostridioides difficile », très répandue dans les salons microbiotiques humains, provoque de graves infections intestinales quand elle a l’occasion de proliférer, notamment après des prises prolongées d’antibiotiques. Et « Clostridioides difficile » a la fâcheuse habitude de produire le p-crésol en quantité, c’est d’ailleurs son avantage compétitif sur les autres bactéries avec qui elle cohabite dans le studio microbiotique. Quelques travaux dans la littérature qui cherchent encore confirmation laisse suggérer que Clostridioides difficile est surabondant dans le microbiote de certains patients autistes. Tenons-nous là le coupable, qui se cacherait en plus derrière son bras armé le p-crésol ? Même si cela se confirme, il faudra encore du temps pour que la communauté scientifique établisse que le p-crésol est sur le chemin de causalité entre Clostridioides difficile et les déficits de comportement social chez les patients autistes. Aussi, si ce lien de causalité était avéré, il ne sera valide que pour les patients présentant une surabondance de Clostridioides difficile, pour les autres de nombreuses autres pistes restent à explorer.


Ne pas confondre association et causalité


Le microbiote fait l’objet de plus en plus de recherches et de spéculations à propos d’autres maladies mentales comme la dépression, la schizophrénie, ou la bipolarité. « Attention, aujourd’hui nous disons que certains patients souffrants de certains désordres psychiatriques présentent curieusement aussi des anomalies de composition du microbiote. Nous ne disons pas que tous les patients atteints de ces pathologies mentales présentent un microbiote altéré, et encore moins que qu’un microbiote altéré est la cause unique et première de ces pathologies. » martèle Laetitia.


Cerveau et microbiote ne cessent d’évoluer


Le cerveau, comme le microbiote sont complexes. On acquiert ce dernier juste au moment de la naissance et il n’est pas statique. « L’enfant né par césarienne récupérera le microbiote cutanée de sa maman au moment où la sage-femme le pose sur elle ; alors que la naissance par voies naturelles donnera à l’enfant le microbiote vaginal de la mère. Ensuite, le microbiote initial va évoluer en fonction de l’alimentation (lait maternel, lait maternisé, diversification alimentaire qui provoque une explosion de la diversité du microbiote). Il faut savoir que des traitements antibiotiques proche de la naissance ou pendant la petite enfance vont perturber le développement optimal du microbiote. Aussi, il semble plausible que l’exposition aux contaminants environnementaux comme les pesticides retrouvés dans l’alimentation affecte notre microbiote. En effet, ces pesticides ont vocation à tuer des organismes vivants, y compris des micro-organismes. En fonction des doses et des durées d’exposition, les altérations du microbiote pourraient perdurer et avec des répercussions sur le cerveau. » remarque Laetitia. Elle évoque également des études californiennes qui ont montré un augmentation de cas d’autisme dans la progéniture de mères travaillant dans des vergers surutilisant les pesticides. Ces ouvrières vivent dans des logements construits dans les vergers, s’exposant, ainsi que leur progéniture à ces produits nocifs 24h/24h.


Quand un horizon se rapproche, un autre s’éloigne


Nous achevons l’entretien sur l’ouverture d’autres portes. « Certaines bactéries synthétisent des métabolites proches ou analogues à des neurotransmetteurs comme la dopamine ou la sérotonine. Selon des études récentes, ces neurotransmetteurs produits dans le tractus ne transitent pas vers le cerveau et ne peuvent donc pas influencer directement les synapses. Mais certaines bactéries pourraient influencer la disponibilité des précurseurs de ces neurotransmetteurs, qui eux sont issus pour beaucoup du tractus et rejoignent le cerveau, influençant ainsi à distance la production des neurotransmetteurs dans le cerveau. Aussi, en atteignant le cerveau, les métabolites bactériens pourraient réguler certains récepteurs essentiels pour l’activité synaptique et ainsi directement moduler l’activité des neurones. Encore reste-t ’il à le démontrer… » énonce, pensive, Laetitia. L’avenir devra le dire.


Elle souhaite aussi alerter. Comme à chaque avancée scientifique, certains marchands d’espoir se sont emparés de la fascination exercée par ce lien possible entre intestin et cerveau. L’inflation de termes et de pilules magiques « prébiotique », « probiotique » relève à son sens moins de la science que d’un marketing abusif.


L’acquisition du statut de connaissance et persévérance vont de pair


Enfin, Laetitia propose de prendre un peu de hauteur : « Le cerveau intègre en permanence des signaux environnementaux dont ceux du microbiote. La vision des pathologies psychiatrique par les neurosciences et la neurobiologie m’apparait très cérébro-centrée. Je trouve fascinant que le cerveau, siège de notre conscience, ne décide pas de tout et puisse être influencé par de petites entités inconscientes échappées du microbiote, par exemple ».


Schopenhauer (1788-1860) a écrit « Toute vérité passe par trois étapes, d'abord elle est ridiculisée , ensuite elle est violemment combattue et enfin elle est acceptée comme une évidence. » Sortir du cadre, au début, parfois dérange, mais souvent, après, ouvre la voie vers la solution.





1 Ce dernier comprend aussi le foie, les voies biliaires, le pancréas.

2 Sous les aisselles…

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