Avis de tempête européen sur la chimie fine…
un plaidoyer pour croire aux vertus de cette industrie et garder foi en la science
De Tech à tech
La pression sur l’industrie chimique s’est accentuée ces derniers temps avec pour conséquence une mise en tension des activités industrielles cosmétique, arômes, fragrances et parfums, exposant un écosystème majeur de l’économie azuréenne.
Avec l’adoption, le 2 mai 2023, du règlement délégué relatif à la classification, à l’étiquetage et à l’emballage des produits chimiques (CLP), l’Union européenne parachevait le cadre réglementaire élaboré depuis 2020 en matière de production et d’utilisation des produits chimiques avec pour clé de voûte le dispositif REACH1.
A l’origine, la Commission avait dressé un réquisitoire contre l’industrie chimique : « La fabrication des produits chimiques est l’un des secteurs les plus polluants, à forte consommation d’énergie et de ressources, et est étroitement liée à d’autres secteurs et procédés à forte intensité énergétique ». Sans omettre la « chimie phobie », voire honteuse, en référence à un sondage dont se prévalait la Commission selon lequel 84 % des Européens s’inquiètent des effets des substances chimiques présentes dans les produits de la vie quotidienne sur leur santé et 90 % sont préoccupés par leur nocivité sur l’environnement. Ainsi se justifiait l’objectif de « verdir et numériser la fabrication des produits chimiques2. »
L’industrie chimique paie son universalité et son poids dans la souveraineté
Conséquence de l’universalité des domaines d’application de la chimie3, l’UE fait peser sur cette industrie toutes les obligations : souveraineté géopolitique, enjeux environnementaux et sociétaux. Historiens et épistémologues de l’industrie et des sciences diront si un secteur d’activités aussi majeures aura autant été soumis à un tel champ de contraintes, dans un tel délai. En effet, sur environ 100 000 substances chimiques sur le marché, 500 sont très largement décrites en termes de dangers et d’exposition, 10 000 sont relativement bien décrites, mais près de 90 000 sont peu décrites ou très mal décrites4. Est-il nécessaire de rappeler que la production des savoirs-savants n’obéit pas au temps de la légifération ni au rythme des désirs et aspirations sociétales si légitimes soient-ils ? Quant au processus d’adaptation de l’industrie chimique au « Green Deal » (neutralité carbone de l’UE d’ici 2050), saurait-il s’inscrire dans un tel agenda, d’autant qu’il implique les pays hors UE ?
Consciente de ces difficultés, la Commission entend aussi, par ce plan d’action5 pallier les manques critiques suivants : données lacunaires sur les substances mises en marché, sur leur empreinte environnementale, problématique des mélanges et formulation, cinétique de la transition, voire enjeux de souveraineté.
Changer de paradigme pour repenser l’industrie de la chimie
La tentation de la naturalité…
Les industriels du secteur cosmétique/parfums consentent à des investissements importants en explorant des procédés « doux » et biomimétiques (extraction mécanique, procédés à froid, galénique, réactions enzymatiques, etc.). Ils recourent aux matières naturelles ou biosourcées, combinent concentration et développement d’huiles essentielles, affinent leurs formulations pour tenir compte des contrôles avisés des consommateurs, etc.
Ces efforts se confrontent à la rareté des matières premières naturelles comparée aux volumes nécessaires à la satisfaction de la demande et aux contraintes protectrices de la biodiversité. De plus, en matière d’empreinte CO2, des résultats s’avèrent contrintuitifs : par exemple une formule plus concentrée pouvant être utilisée à plus faible dose peut se révéler avoir une empreinte carbone plus élevée par kilogramme d’huile6.
Autre aspect, la générosité chimique de la nature et son rapport à la toxicité compliquent le devoir de satisfaire aux exigences renforcées de REACH.
Digitalisation des données et l’IA : un tournant
Afin de soutenir le besoin croissant de données nécessaires au renouvellement de ses produits et à la mesure de leur empreinte carbone, l’industrie chimique française a franchi le pas. Par la digitalisation et l’IA, elle entend accroître sa capacité d’identification des molécules alternatives à celles soumises à la rareté et aux restrictions d’exploitation des ressources naturelles. Dans le même ordre d’idée, ces technologies permettent désormais d’écarter des sélections candidates les composants présentant des risques de toxicité.
Ainsi est désormais permise l’exploration des données moléculaires et chimiques structurées au sein d’espaces latents. Comme l’explique Philippe Robin, président d’Alysophil dont la solution ALchemAI utilise les principes des modèles QSPR pour prédire un certain nombre de caractéristiques des molécules7 (par exemple, la toxicité), « ces modèles d’algorithmes peuvent aussi identifier, parmi des molécules utilisées dans un domaine d’application, celles susceptibles de répondre à d’autres usages, et ainsi, identifier de nouveaux usages pour des molécules déjà enregistrées.»
Une nouvelle génération d’installations favorisant l’expérimentation
L’encodage des molécules et les technologies IA permettent aujourd’hui la digitalisation des réactions chimiques et la génération d’agents IA capables de les piloter. In fine, le pilotage par IA d’installations est en vue. C’est l’objectif d’Alysophil : ses concepts de ChemPocket ou son projet d’installation PIPAC8 reposent sur la transférabilité quasi intégrale du procédé mis au point en laboratoire à l’installation industrielle conçue comme compacte (dimension d’un container maritime) et autonome (pilotage par IA).
Ces installations agiles, frugales et réversibles répondent aux besoins d’adaptation de l’industrie grâce à des expérimentations économes (temps de développement, coût d’investissement, coût en matières/énergie, efficacité environnementale).
Mieux comprendre les rapports de l’industrie chimique aux technologies, à la science et aux enjeux sociétaux
L’Université ne s’y trompe pas. Un rapport d’avril 20239 consacré à la « Sensibilisation et la formation à la démarche scientifique » formule l’ambition générale de « renforcer l’offre de formation en direction des futurs décideurs, des futurs journalistes et des scientifiques en incluant les problématiques méthodologiques, épistémiques et éthiques de la démarche scientifique. »
La digitalisation et le développement des technologies IA procurent au domaine de la science des outils d’exploration et d’expérimentation sans précédent lui permettant d’accompagner l’adaptation de l’industrie chimique en lui procurant les savoirs savants indispensables pour répondre aux attentes sociétales.
Moins croire, mieux penser et substituer la question à tout à la réponse à tout, telle pourrait être la voix de la sagesse pour tracer le chemin de la transformation vertueuse de l’industrie chimique face à l’avis de tempête européen qui s’annonce.
1. Acronyme pour “Registration, Evaluation and Authorisation of Chemicals”
2. Rapport du 14 octobre 2020 de la Commission à l’intention du Parlement et du Conseil de l’Europe - Pt 2.1.3
3. L’universalité de l’industrie chimique est tangible en santé/pharmacie, cosmétique/parfum, arôme/alimentation, matériaux, énergie, électronique, et dans des domaines clés civils et de défense.
4. Graphique de l’iceberg des risques chimiques - AEE, The European Environment – State and outlook report - 2020
5. Rapport du 14 octobre 2020 adressé au Parlement et au Conseil de l’Europe - Pt 2.2 à 2.4
6. IFSSCC MAGAZINE Volume 25 – 4 novembre 2022 – Carbon Footprinting of Fragrances
7. Interview Philippe Robin – CEO AlysophiL – Infochimie – 7 juillet 2023 – Enquête / Transformation digitale
8. « Production intelligente de principes actifs » - Pharmaceutique – Usine Nouvelle 13 février 2023 – https://www. unsinenouvellle.com
9. La sensibilisation et la formation à la démarche scientifique de l’école élémentaire au doctorat N° 21-22 099A – Page 31 – JA. Cavailles & S. Julien – Inspecteurs généraux de l’éducation
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