Coup de théâtre à l’opéra
Arts en scène
Madame Butterfly © D. Jaussein
Quand deux des noms les plus en vue de la scène théâtrale azuréenne signent deux des spectacles les plus attendus de la saison lyrique niçoise…
Visconti, Chéreau, Kirill Serebrennikov, Jean-François Sivadier, Olivier Py, Laurent Pelly, Christophe Honoré… C’est une tradition bien établie de voir des metteurs en scène jouer les go-between entre théâtre et opéra pour donner la pleine mesure de leur art dans ce double emploi. Côté spectateur, c’est l’assurance d’un frisson d’excitation supplémentaire, attisée par la promesse d’une vision originale des ouvrages ainsi portés à incandescence (ou pas). Á la faveur de deux spectacles programmés cet hiver sur leurs planches respectives, vont précisément s’illustrer dans l’exercice Muriel Mayette-Holtz et Daniel Benoin, la directrice du Théâtre National de Nice et le directeur d’Anthéa, jouant la carte d’une coproduction avec l’Opéra de Nice. Muriel Mayette-Holtz pour mettre en scène Guru, un ouvrage contemporain de Laurent Petitgirard encore jamais chanté en France (il a été créé en Pologne en 2018). Daniel Benoin pour une reprise de la Madame Butterfly de Puccini qu’il avait présentée à l’Opéra de Nice en 2013. Du parlé au chanté, des spectacles d’une autre tessiture pour déployer autrement la palette de leur talent… Chacun à sa façon, Mayette et Benoin sont des orfèvres du « mentir vrai » au cœur de leur métier, virtuoses d’un art de la représentation accordé au plus juste de leurs partitions scéniques, quelle qu’en soit la nature. Au diapason du théâtre et de l’opéra, Guru et Madame Butterfly ne devraient pas manquer de faire vibrer leur travail sur une gamme d’émotions exacerbée.
La note et l’effroi
Requiem pour un massacre : Muriel Mayette-Holtz passe à l’acte. Après les grands textes du répertoire, elle s’apprête à changer de registre afin d’orchestrer pour la toute première fois de sa carrière la mise en scène d’un spectacle musical, Guru. « Une œuvre choc du compositeur Laurent Petitgirard, explique la directrice du TNN, qui est un véritable opéra contemporain et qui n’a jamais été chantée en France depuis sa création en 2018. Elle résonne toujours hélas avec l’actualité parce qu’il y est question de manipulation mentale et qu’elle met en exergue une figure de tyran dans son travail d’emprise et sa soif de pouvoir néfaste… » Inspiré d’événements réels, le livret raconte la sombre histoire d’une secte américaine, le People’s Temple, dont le gourou ordonna le massacre de tous les adeptes (neuf cent personnes) en 1978. Dix rôles de solistes, un orchestre philharmonique et une foule de choristes réunissant des adultes et des enfants. Pour mener à bien l’aventure d’un spectacle d’une telle envergure, le TNN s’est engagé dans une coproduction avec l’Opéra de Nice. « Avec Bertrand Rossi, son directeur, nous cherchions l’élément déclencheur d’un rapprochement entre nos deux maisons, évoque Muriel Mayette-Holtz. Laurent Petitgirard, qui dirigera lui-même le Philharmonique de Nice pour l’occasion, nous a fourni un matériau magnifique avec son Guru… » Le trio s’est donc mis à l’ouvrage pour bâtir peu à peu le spectacle. Le choix de la distribution. Les auditions de jeunes choristes avec la soprano colorature niçoise Elizabeth Vidal. Le dispositif scénographique confié à Rudy Sabounghi, l’un des fidèles complices de Muriel Mayette-Holtz. « On a travaillé étroitement les uns avec les autres, confie celle-ci. On forme une équipe et, avec l’envie de donner une résonnance magistrale au spectacle, on a tout mis en œuvre pour qu’à l’arrivée, le public puisse s’emparer de la chose. Quant à ce qui relève de la mise en scène, même s’il s’agit de ma première incursion dans le genre opératique, elle s’inscrit dans la continuité de ma pratique théâtrale, dans la mesure où une mise en scène s’apparente toujours à une écriture musicale. Ici, il faut que le jeu des interprètes colle à la note près. C’est une entreprise de haute précision, portée par la musique très expressive de Laurent Petitgirard. Et puis il y a la dimension tragique de l’œuvre, une sorte de fable terrible. Un opéra peut résonner de tant de façons différentes, ouvrir tant de portes à l’émotion… »
Hiroshima mon amour
Il a le réel dans son viseur. Homme de spectacle à part entière, Daniel Benoin n'aime rien tant que parler du monde et de l'époque dans ses créations théâtrales. "Humain, bien trop humain hélas " semble-t-il parfois déplorer en nous regardant droit dans les yeux à travers ses mises en scène uppercut. Puncheur dans l’âme, ses créations d’opéra, une quarantaine au fil du temps, relèvent du même désir de frapper fort, d’emmener un spectacle là où il fait sens aux yeux d’un auditoire contemporain. Ainsi, pour Madame Butterfly, l’opéra de Puccini censé se dérouler au début du XXème siècle, il a réimaginé l’histoire dans le Japon année zéro de l’après Hiroshima et Nagasaki. « Á condition de ne pas dénaturer l’œuvre, la musique permet ces changements de temporalité, revendique Daniel Benoin. Il ne faut pas aller contre le livret pour privilégier sa propre conception. Si une scène ne colle pas avec elle, alors j’abandonne l’idée de ma transposition… » Pour raconter les amours de Cio-Cio-San et du major Pinkerton, Benoin était sûr de son fait. Les faits lui ont donné raison. Dans le halo de cette toile de fond post-atomique, « sa » Madame Butterfly fait merveille ! Créée sur la scène de l’Opéra de Nice en 2013, la production a voyagé dans toute l’Europe, a fait l’objet de onze spectacles chantés par des distributions différentes. La revoici d’actualité cet hiver, ici même, à l’Opéra de Nice, pour une reprise assurée par les soins de son créateur. « Mettre en scène un opéra, j’aime beaucoup ça, confie Daniel Benoin. Quand j’arrive sur le plateau en sachant que je vais diriger cinquante personnes, ça me donne des ailes. L’opéra permet de s’essayer à des spectacles sur une autre échelle, dans une pleine amplitude visuelle. Mon imaginaire de metteur en scène est également très sollicité. Avant les répétitions, j’ai déjà le film du spectacle dans ma tête, qui va me servir de fil conducteur dans mon travail avec les artistes lyriques… Une mise en scène, c’est comme une maison à construire, on part des fondations pour monter jusqu’au toit, aller vers le ciel. C’est encore décuplé par la force, la violence et l’émotion de l’opéra… »
Pour aller plus loin...
Laurent Pelly et Olivier Py, enlumineurs d'opéras
Ces deux-là sont eux aussi des metteurs en scène "ambidextres". Hissant haut leurs couleurs de caméléons des plateaux lyriques et théâtraux, Laurent Pelly, avec Lakmé de Léo Delibes en septembre dernier, et Olivier Py, pour Le rossignol de Stravinski et Les mamelles de Tirésias de Poulenc en mai prochain, sont à l'affiche de l'Opéra de Nice cette saison.
En coproduction avec l’Opéra de Nice, Guru sera donné au TNN, à la Cuisine, du 20 au 24 février
Madame Butterfly sera donnée à l’Opéra de Nice du 6 au 12 mars puis à Anthéa les 15 et 17 mars
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