Eugénie Andrin
fleur du bal
Arts en scène
Dance Marathon par Eugénie Andrin © Lelabodart
Comme la consécration d’un parcours déjà bien tracé, Dance Marathon, son nouveau ballet, est programmé mi-décembre dans le cadre du Monaco Dance Forum. Récré dans la cour des grands pour cette chorégraphe azuréenne de talent qui a plus d’une pirouette sous ses souliers de fée…
On l’a découverte au théâtre Anthéa, son coproducteur de longue date. Elle y donnait Breathe, Breathe ! au sortir de la covid et de la période de confinement qui allait avec. Á travers cette création, son geste était aussi spectaculaire que jubilatoire. Libératoire dirait-on ! Comme si on adressait tous ensemble, du moins les spectateurs présents ce soir-là, un doigt d’honneur à ce sinistre cauchemar vécu à grande échelle. Tout cela était donc l’œuvre d’une chorégraphe, Eugénie Andrin, et de sa compagnie du même nom. Le spectacle était porté à incandescence par des danseurs professionnels et par des lycéens invités à se joindre à eux pour composer une impressionnante fresque humaine d’une cinquantaine d’intervenants sur scène, d’abord masqués puis à visage découvert. Vibrant coup de maître, Breathe, Breathe ! n’est pas le coup d’essai d’Eugénie Andrin. Depuis ses débuts, la jeune femme a bien d’autres ailes à son tableau de vol. Antiboise, danseuse de formation chez Rosella Hightower, mais bien davantage chorégraphe par toutes les fibres de son être, celle-ci a fait de la danse l’alpha et l’oméga de son envie de raconter des histoires, corps et âme. Car c’est bien ce à quoi elle s’attache dans son écriture chorégraphique : être au plus près de la fièvre d’exister. Dans l’exultation, comme avec Breathe, Breathe ! ou dans la douleur, comme avec son nouvel opus, Dance Marathon.
Une comédie musicale à l’envers
'Pour Breathe...', explique Eugénie Andrin, 'j’étais partie d’un fait réel survenu en 1518 à Strasbourg, une femme se mettait soudain à danser dans la rue et tout le monde faisait de même en la suivant. C’était comme l’idée d’une épidémie, d’une peste dansante et sur ce, arrive l’épidémie de covid... Le spectacle est né de cette transposition à notre époque. Mon spectacle actuel, Dance Marathon, a lui aussi pour point de départ une page d’histoire. Cette fois, cela se passe dans les années 30 aux Etats-Unis, juste après la grande dépression et la crise de 1929. Pour survivre face à la misère galopante qui a déferlé dans tout le pays, les gens pouvaient participer à des marathons de danse. Au cours de ces joutes, ils étaient nourris tant qu’ils pouvaient tenir debout. Il existe pas mal d’images d’archives de cette période et l’on voit combien on peut parler de bals de l’horreur devant de pareilles scènes… ' Il existe même un film de Sydney Pollack avec Jane Fonda - On achève bien les chevaux - qui raconte ces danses voire ces transes du désespoir et de la survie...
En mettant ses pas dans les pas de ces femmes et ces hommes du passé pour créer son spectacle, Eugénie Andrin, elle, n’a surtout pas voulu reproduire leur calvaire et infliger une double peine à leur mémoire. Loin des films de l’époque où Fred Astaire et Ginger Rogers tourbillonnaient dans un rêve sans fin, elle a imaginé une comédie musicale à l’envers, où la noirceur mène la danse certes mais où le désenchantement laisse parfois place aux lueurs des braises d’une autre vie. 'Pour moi, confie-t-elle, il était clair qu’il fallait éviter l’écueil d’un spectacle copié-collé sur ces faits terribles. Plutôt qu’une reconstitution historique, j’ai préféré me demander comment montrer ces choses de l’ordre de l’insoutenable, à travers un spectacle de danse qui reste un spectacle. J’ai prêté des pensées, des souvenirs, aux participants de ces marathons et cela s’incarne par des petites bulles de chorégraphies en forme de solo qui viennent émailler le cours de la représentation, comme si le spectacle emmenait tour à tour certains personnages loin de ce manège infernal, leur accordait un peu de répit…'
Souffle d’humanité
Dance Marathon a ainsi trouvé peu à peu ses rythmes, son souffle d’humanité, et Eugénie Andrin est allée au bout du projet participatif qu’elle avait en tête. Dans son élan, afin de donner toute l’envergure requise à l’entreprise, elle s’est entourée d’une distribution mêlant artistes professionnels et amateurs. Quatorze musiciens en section musique au lycée Apollinaire de Nice orchestrent la bande son du spectacle qui résonne des standards jazzy et swingants des années 20 et 30. Au milieu de dix-huit danseuses et danseurs venus d’une école de danse de Vallauris (Studios actuels de la danse), six autres danseurs (quatre font partie de la compagnie Eugénie Andrin) évoluent sur ces airs dans une mouvance zombiesque. Egalement de la partie, le compositeur Jean-Marie Leau a écrit une partition sur mesure pour accompagner les prestations solos des protagonistes. Enfin, Jonathan Gensburger, un comédien transfuge du Théâtre National de Nice, joue les Monsieur Loyal, menant ce bal des âmes perdues avec un entrain sardonique.
'Dance Marathon a été créé la saison dernière à Anthéa, sur ce canevas et selon des modulations un peu différentes', précise Eugénie Andrin. 'Il est aussi passé par l’Espace Magnan à Nice cet automne. Cet été, il sera à l’affiche des Chorégies d’Orange. Á chaque fois, c’est comme un nouveau spectacle et ce sera encore le cas pour le Monaco Dance Forum. Jean-Christophe Maillot me donne une grande marque de confiance en m’accueillant dans cette manifestation. C’est à la fois une reconnaissance de mon travail, un honneur et un événement très fort !'
Après cette danse à vif, Eugénie Andrin reviendra sur le devant de la scène, dans un registre tout de légèreté, pour sa prochaine création, On n’est pas toutes des Cendrillons. Sur talons aiguilles et chaussons pointe, entourée d’autres ballerines, elle y dansera pour la première fois depuis longtemps, à la fois femme et sylphide, pour jouer avec les codes de la danse classique et les stéréotypes de la féminité.
Dance Marathon d’Eugénie Andrin au Théâtre des Variétés à Monaco, mardi 17 décembre, 19h30
Rendez-vous à Nice au Théâtre Francis Gag, les 27 et 28 mars
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