Jenkellement vôtre

Par Frank Davit, 10 décembre 2024 à 18:01

Arts en scène

Ses bonbons géants s’élancent dans le ciel comme des cadeaux gourmands qui s’offrent à nous à vue d’œil. Artiste autodidacte à forte valeur environnementale ajoutée, Laurence Jenkell sculpte des chatoiements d’enfance à la manière de pures déflagrations de joie. Et bien davantage… Absolument délicieux.

Est-elle un Richard Orlinski au féminin, mêlant un redoutable sens du marché de l'art à un incroyable flair pour donner forme à l'air du temps dans ses œuvres si joyeusement fantasques ? En nous mettant allègrement du soleil plein les mirettes avec ses papillotes multicolores qui pavoisent plus d'un lieu dans l'espace public ou dans des galeries et foires d'art, Laurence Jenkell semble nous inviter à regarder les choses avec des yeux d'enfant. Tout à coup s'émerveiller et s'amuser au quotidien par la vision subreptice d'un élément qui ne cadre pas tout à fait avec le réel, là au coin de la rue où a été dressée une de ses sculptures. Laisser l'image ainsi apparue sur nos rétines nous emmener "some where over the rainbow", comme si on s'échappait dans un monde imaginaire où un bonbon prend soudain une dimension fantastique, qui n'est plus à l'échelle de la réalité. Des fusées d’allégresse pareilles à une pyrotechnie polychrome… C'est ce jeu de passe muraille avec l'invisible que nous propose de jouer avec elle Laurence Jenkell, tissant en douce son travail comme des portes qu'elle ouvrirait sur nos émotions, sur des sensations de bonheur. Comme si elle nous disait "ne perdez pas de vue l'essentiel" grâce au pouvoir magique du temps de l’enfance et des bonbecs.


Geste signature


Les bonbons précisément, ses créations totem, à l’image du spécimen jaune et géant à l’entrée de l’autoroute à Nice ou sur la Croisette, en face du Miramar, à Cannes. Comment Laurence Jenkell a-t-elle fait d’une friandise somme toute bien ordinaire une référence iconique du monde de l’art ? C’est l’intéressée qui nous répond : « Dès mes débuts, il y a une trentaine d’années, le bonbon faisait partie de mon process créatif, je l’utilisais enduit de résine puis passé au four pour composer des tableaux. Progressivement, je suis passée à d’autres pratiques et d’autres envies esthétiques, via le plexiglass qui est devenu mon matériau de prédilection. C’est brillant, coloré, très pop art ! Tout est parti de là ! » Au détour de son travail artistique de l’époque, Laurence Jenkell découvre en effet que le plexi a en quelque sorte le sens du swing, qu’il est malléable autrement dit, chauffé à haute température. « En tortillant des chutes que j’avais, poursuit l’artiste, un twist par-ci, un twist par-là, mes petits bouts de plexiglass s’étaient soudain mis à ressembler à des bonbons… » Eureka : d’un tour de main, naît un geste signature qui va faire le tour du monde ! Ce que la plasticienne appelle le « wrapping », sa technique modèle déposé. Le mot signifie la torsion. Tout est là. Elle a trouvé sa voie et décline la forme sous une infinité de variantes et déclinaisons, de tailles, de matières aussi. Plexi plutôt destiné à des œuvres réalisées pour des collectionneurs privés qui conserveront l’œuvre en intérieur. Polystyrène pour les compostions monumentales en extérieur. Marbre en version luxe. Parfois des mix de plexi et de bois. Bronze, aluminium. Pure coulée de matière doublée d’une volupté chromatique totale comme si chaque bonbon était sculpté dans un bloc de lumière, la sensualité est au rendez-vous de son art. C’est le versant le plus visible de sa patte. Au-delà de sa vrille en forme de délice glamour, la Jenkell’s touch cristallise aussi une sensibilisation ancrée dans des préoccupations d’aujourd’hui. « Á travers mes réalisations, je veux donner des lettres de noblesse à un matériau qui appartient à la famille du plastique, explique celle-ci. L’idée, c’est de recycler, c’est de faire de l’art à partir d’une plaque de plexi plutôt qu’un énième usage à visée consumériste. Si mes bonbons peuvent aussi alerter sur les déchets, sur notre société de consommation en général et emmener vers une prise de conscience environnementale, alors j’ai atteint mon but ! Il ne s’agit pas d’être uniquement dans le décoratif… »




Un atelier à Valbonne


Si Laurence Jenkell est implantée en Principauté via son atelier showroom, elle n’en vient pas moins de s’installer récemment à Valbonne. Elle a trouvé un espace idéal pour un nouvel atelier où elle concrétisera encore d’autres projets hors normes comme elle aime à en créer. « Il ne faut pas tout révéler à ce stade, sourit cette dernière, mais je suis vraiment heureuse de pouvoir disposer d’un endroit comme celui-ci, sur le site de la zone d’activités artisanales du Galion, au milieu d’un écrin de verdure, à trois kilomètres de Valbonne. C’est un lieu où je ne ressens que des good vibs ! » Lieu où Laurence Jenkell pourra laisser libre cours à sa créativité qui va de pair avec une vraie complexité de sa démarche. Le bonbon se laisse certes déguster sans effort par qui le regarde mais sa fabrication (selon sa taille) requiert parfois des assistants. Au-delà de lui donner forme, il faut aussi le colorer dans la masse et maîtriser ainsi plus d’une facette de son élaboration. « Chaque bonbon est une pièce unique et je suis fière de l’aura emblématique que cela a pris dans le monde entier… » Partageuse, Laurence Jenkell comme elle le fait déjà dans son showroom monégasque, a d’ailleurs bien l’intention d’initier sur place des séances d’atelier manuel pour dévoiler quelques-uns de ses secrets de fabrication.  

Parution magazine N°47 (décembre, janvier, février)

Qu’en pensez-vous ?

Donnez-nous votre avis

Pour vérifier que vous êtes une intelligence humaine, merci de répondre à ce questionnement lunaire.