Quand 2 CTO
se lancent dans le cinéma…
Arts en scène
de gauche à droite, Saumil Cheeda, Nhan T. Nguyen et Sébastien Aubert © Clara Joubert pour Adastra Films
Ni Nhan T. Nguyen ni Saumil Chheda n'avaient jamais mis les pieds sur un plateau de tournage lorsqu'ils ont décidé d'investir dans LaRoy, une comédie noire réalisée par Shane Atkinson et produite par Adastra Films, la société de production cannoise. Ils ont eu du nez. Le film a remporté le Grand Prix, le prix du Public et le prix de la Critique au Festival du Cinéma américain de Deauville l'automne dernier. Le 15 avril, ils étaient tous deux à Cannes pour l’avant-première du film sur le marché français au cinéma Cineum. SophiaMag a eu l'occasion de les interviewer tous les deux, ainsi que Shane Atkinson, le réalisateur du film, et Sébastien Aubert, le producteur.
Nhan T. Nguyen et Saumil Chheda sont tous deux CTO dans des entreprises technologiques. Nhan est titulaire d'un doctorat en informatique et sciences de l'information et cumule plus de 20 ans d'expérience professionnelle dans les technologies de l'information et le traitement des transactions. Il a fait partie de l'aventure Pay By Touch et est aujourd'hui CTO chez iSign et Xolv Technology Solutions, deux sociétés de la Silicon Valley. Saumil Chheda travaille depuis plusieurs années en tant que CTO & Risk Management chez TMGOC Ventures, également dans la Silicon Valley, une société qui croise prospective technologique et risque dans le secteur de l'immobilier et de l'hôtellerie. De pionniers de la tech à investisseurs dans le 7e Art, quel chemin parcourir ?
Compte tenu de vos deux ancrages professionnels , qu’est-ce qui vous a poussés à investir dans le secteur du cinéma et pourquoi avez-vous choisi de le faire avec ce film en particulier ?
NT.N : Je vois de nombreux points communs entre la technologie et l’art. Beaucoup de gens pensent que la technologie est ennuyeuse, on fait les choses au carré… mais grâce à la technologie, on crée de nouvelles choses, on innove, et je considère cela comme de l’art. Parfois - on pourrait penser que je suis fou - je regarde le code et je me dis « c'est tellement beau ! » (rires). Le codage est vraiment créatif et je continue d'être fasciné par la façon dont la créativité et l'innovation s'expriment.
SC : Mon propre parcours a été assez similaire. Silicon Valley, membre de 14 startups, investisseur… Tout cela fait partie pour moi d'un processus créatif. Après tout, tout commence par une idée. Si vous pensez à un film, cela commence toujours par quelques idées, puis elles germent en un projet et, en cours de route, vous collaborez avec des dizaines de personnes essayant de réaliser un produit. Il y a clairement un parallèle.
Quelles tendances observez-vous en termes de complémentarités/synergies entre le monde de la technologie et le monde du cinéma ? Devons-nous craindre la montée en puissance de l’IA dans ce secteur ?
SC : L’IA est là. L’adopter est inévitable. Finalement, nous devrons tous le faire. La question est de savoir comment nous adapter. Il y a une peur dans le monde de l’art : que se passe-t-il lorsque l’IA crée essentiellement des choses ? Est-ce que ça va être considéré comme fabriqué par l'homme ? Est-ce que ça va être considéré comme fabriqué par la machine ? Deux camps s’affrontent ici, selon la façon de voir les choses.
NT.N : Je travaille avec la technologie de l’IA depuis les années 1980 donc ce n’est pas nouveau pour moi. Je reformulerais votre question. Quel est le danger si nous n’adoptons pas l’IA puisque c’est une force que nous ne pouvons pas arrêter ? L’impact social est clair. Certaines personnes vont perdre leur emploi et vont devoir se reconvertir. Je pense que si nous ne nous en rendons pas compte, c’est là le véritable danger. Nous devons adopter l’IA pour mieux la comprendre. Il y a actuellement de nombreuses discussions sur la réglementation, mais si l’on restreint l’IA en Europe ou aux États-Unis, nous devons nous demander ce qui peut se passer si l’IA prolifère ailleurs et est utilisée contre le monde occidental. L'intelligence artificielle est comme un tsunami. Cela peut avoir un impact positif considérable et en même temps, cela peut être une grande nuisance pour le monde. Nous devons l’accepter pour comprendre les risques et nous préparer aux changements à venir.
SA : En tant que scénariste, le seul outil que j'utilise pour écrire est une technologie assez basique, un cahier et un stylo. En tant que réalisateur, tout le processus de tournage est désormais numérique. Les caméras sont numériques, des plateaux numériques sont utilisés pour briefer tout le monde et gagner du temps sur le plateau réel… On peut faire tellement de choses avec la numérisation… Manipuler la couleur des images… Nettoyer le son… La technologie sonore s’est vraiment améliorée ces dernières années, c’est devenu incroyable. Cela permet également de gagner beaucoup de temps sur le plateau.
Quelles seraient vos zones personnelles de 'no go' en termes de transfert de technologie dans l’industrie créative ?
NT.N : Je n'ai pas lu le scénario de LaRoy sous l'angle de la technologie ou de l'IA. Cependant, la façon dont l’histoire se développe est presque la façon dont une IA se serait développée. En rencontrant de nouvelles choses qui ont conduit à de nouveaux développements.
SC : Nous ne pouvons pas nous attendre à ce que tout le monde soit sur la même longueur d’onde. La peur de l’inconnu a toujours été là, depuis la révolution industrielle. Chaque fois que quelque chose de nouveau arrive, les gens ont eu peur que cela supprime leur emploi. Mais nous avons appris à travers l’Histoire et nous nous sommes toujours adaptés. Maintenant la question est de savoir comment nous adapter collectivement ? Comment dialoguent les sociétés tech et les think tanks ? Comment les politiques publiques réagissent pour intégrer le reste de la société en utilisant le meilleur de ce dont l’IA est capable ? L'IA est réelle. Et la transition est en cours. Nous devons nous assurer que nous nous adaptons rapidement, que nous prenons les bonnes mesures correctives sur le plan politique et que des mécanismes de contrôle existent au sein du monde technologique.
Comment avez-vous rencontré l’équipe Adastra Fims & Sébastien Aubert ?
SC : J'ai rencontré Sébastien via Naan. Nous étions en train de collaborer sur un autre projet et il m'a présenté à Sébastien. C’était en août 2022, Sébastien était en visite. Nous étions censés nous retrouver tous les trois pour boire un verre, nous avons discuté jusqu'à 5 heures du matin… Nous avons échangé beaucoup d'idées et de visions. Ça été une conversation extrêmement enrichissante. Deux mois plus tard, nous avons reçu un appel. LaRoy était sur le point de commencer…
NT.N : Je connais Sébastien depuis une dizaine d’années. C’est un contact à Paris qui m’a mis en relation. Nous nous sommes ensuite rencontrés à San Francisco. Je me souviens qu'il m'avait appelé un samedi. Il venait d'arriver dans la Silicon Valley et souhaitait me rencontrer. Je ne connaissais pas Sébastien mais pour une raison que j’ignore – une question de karma peut-être - j’ai eu un bon pressentiment. Heureusement ce samedi, j'étais libre. C'est très rare dans la Silicon Valley. Donc nous sommes allés dîner et nous avons continué à discuter jusqu'au petit matin… C'est là que nous avons commencé à parler de fusionner la technologie et l'art. J’ai toujours voulu faire ça. Et Sébastien voulait fusionner l'art et la technologie. Match! Il était véritablement curieux de technologie. C’est ainsi que nous avons commencé à travailler ensemble.
SA : J'ai rencontré Sébastien à Clermont-Ferrand lors du festival du court métrage. J'étais encore à l'école à cette époque et mon film d'étudiant y était projeté. Je pense que Sébastien donnait une conférence. Nous avons connecté à cette occasion et nous avons passé un très bon moment. Il a vu mon film par la suite et nous avons commencé à discuter. Il m'a invité à Cannes pour y faire un court métrage. Je le nommais plus tard L’Ambassadeur. J’avoue que je connaissais pas grand chose sur la Côte d'Azur mais je savais qu'il y avait de beaux hôtels et de belles plages, alors j'ai écrit quelque chose qui se passait dans un hôtel… J'ai eu une très bonne expérience avec Adastra avec ce projet. De retour à Los Angeles, j'ai travaillé sur plusieurs projets qui n’ont pas abouti. Ils ont commencé à se développer puis ils se sont effondrés. Nous obtenions des financements, puis nous les perdions… J’étais très frustré. Quand j’ai écrit le scénario de LaRoy, je ne l’ai montré à personne. Je voulais essayer de faire les choses différemment pour ce film. Alors je l'ai envoyé à l'équipe Adastra. C’est eux qui ont eu la primeur du scénario. L’aventure commune a commencé ici avec Sébastien Aubert et Adastra Films. Nous travaillons en ce moment sur un troisième projet. Une autre comédie noire…
Pen + Paper = Movie… by Shane Atkinson
« En tant qu’écrivain, je ne suis pas intéressé par l’IA. Je commence toujours un projet d'écriture avec un cahier et un stylo, ensuite je passe à un tableau blanc accroché à un mur, toujours avec un stylo, et quand vraiment je ne peux plus faire autrement, j'allume mon ordinateur… Parfois j’utilise mon téléphone pour prendre des notes… Je n’ai pas d’opinion bien arrêtée sur l’intelligence artificielle. Je sais juste que beaucoup de choses qui pour moi sont amusantes, intéressantes et excitantes me manqueraient si j'y avais recours pour écrire mes scénarios. J’aime le processus de création, quand les idées émergent. J'aime les luttes et les défis qui accompagnent tout brainstorming. Je ne pense pas que l'IA fasse un jour partie de mon processus d’écriture.Je n'y vois personnellement aucun intérêt.
Pour revenir à LaRoy, le film est né de deux idées différentes. Lorsque je travaille sur un projet, je note sur un cahier toutes les idées farfelues que j'aies et l'espoir est qu'au moment où le cahier est rempli, une ou deux idées soient exploitables. Pour les personnages, j'ai d'abord eu l'idée du tueur à gages. Plus tard, j'ai eu l'idée du personnage détective privé inefficace. J'ai commencé à avoir des dialogues dans ma tête entre le tueur à gages et le détective et j'ai commencé à voir le potentiel de mélanger ces deux idées. Je les ai donc réunies et LaRoy en est sorti. Sans aucune IA dans la phase d’écriture.”
Pas de doute.
Si la TechMovie a résolument de très beaux jours devant elle, papier et stylo font de la résistance.
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