40 de microélectronique
vus par Etienne Delhaye

Par La rédaction, 17 mars 2025 à 12:11

Quoi d'9 ?

En un peu plus de douze ans aux manettes opérationnelles du Sophia Club Entreprises, Etienne Delhaye a coordonné avec ses équipes une restructuration de fond du club en impulsant une dynamique d’ouverture. L’association compte aujourd’hui 226 sociétés membres et continue à s’élargir en accueillant des entreprises engagées dans l’intérêt collectif de la technopole. Etienne passe la main le 31 mars 2025. Retour sur son parcours singulier de témoin expert de la microélectronique…

Vous avez atterri à Sophia il y a un peu plus de quinze ans avec la casquette de DG ST-Ericsson France. Vous avez un doctorat en microélectronique et un DEA en physique des semi-conducteurs. Qu’est-ce qui vous a amené à la microélectronique au départ et quels ont été vos moments charnières dans ce secteur ?


Quand j’étais étudiant, je me suis intéressé à la miniaturisation des composants. En 3e année d’école d'ingénieur Telecom, j’ai suivi l’option microélectronique à l'Institut national polytechnique de Grenoble. C’était essentiellement des bases de physique et des techniques de conception. Le traitement de signal numérique était encore peu abordé à l’époque, on était au début des années 80. J’ai fait mon stage de 3e année chez Philips, dans leur laboratoire d'électronique. C’est pour moi la première charnière. J’ai commencé à faire des choses pratiques en microélectronique et ça m'a incité à aller plus loin et à poursuivre en thèse où j’ai travaillé sur des applications numériques, notamment sur un démonstrateur de multiplieur numérique capable d’effectuer un milliard de multiplications par seconde. Un record à l’époque... qui n’a pas duré très longtemps.


Mon titre de docteur en poche, j’ai été embauché chez Philips et j’ai poursuivi mes travaux de recherche. Je travaillais à l’époque sur la mise au point d'une technologie de semi-conducteur émergente, sur des matériaux binaires ou ternaires à base d’arséniure de gallium qui présentaient des propriétés électrophysiques très supérieures au silicium courant. L’objectif de cette R&D était de fabriquer des transistors beaucoup plus performants. En microélectronique, à chaque nouvelle génération technologique, il est toujours possible de choisir le dosage entre vitesse et consommation d’énergie. Est-ce qu’on privilégie d’aller vite au niveau de l’équipement ou est-ce qu’on préfère mettre en avant la sobriété énergétique ? Si on choisit d’aller vite, on consomme… L’apport de la technologie sur laquelle je travaillais conduisait à des compromis bien plus performants dans cet équilibre. Avec ces nouveaux composants , on pouvait faire des applications numériques mais aussi des applications analogiques et d’hyperfréquences, jusqu'à plusieurs dizaines de gigahertz. Et en termes d’amplification de puissance, il était possible d’atteindre des niveaux de performance très intéressants, compatibles avec de faibles tensions d’alimentation de batteries rechargeables. Récepteurs et émetteurs télécoms étaient miniaturisés, consommaient peu, et étaient faciles à mettre en œuvre.


1998, deuxième charnière pour moi. Je suis nommé responsable d'une unité pré-industrielle à Caen pour préparer l'industrialisation de plusieurs produits, et en particulier sur le marché des télécoms mobiles qui est en train d'exploser. La demande est très forte du côté de l'industrie et la technologie devient de plus en plus mature. On commence à vendre des fonctions, SAGEM est notre premier client. Je me souviens qu’on faisait tourner notre outil de production jour et nuit et les week-ends, et je me rappelle avoir passé plusieurs samedis et dimanches dans la salle de test pour vérifier que les rendements étaient bons et que le programme de tests n'était pas tombé en rade… Des taxis partaient vers les usines de SAGEM tous les jours. C’était l’âge d’or des télécoms mobiles, on venait de mettre le bateau à l'eau, il y avait du vent, on avait mis les bonnes voiles, ça allait super vite…


Au début des années 2000, Philips entre en partenariat avec Motorola. On s’est alors mis à développer nos fonctions dans les usines Motorola de Phoenix aux États-Unis qui étaient plus modernes. Cela nous a permis de suivre au plus près la demande du marché, qui était toujours en progression exponentielle. L’année 2005, nos clients ont produit 100 millions de téléphones. J’étais alors à la direction du segment des hyperfréquences et de l’analogique, toujours basé à Caen.


Le marché a ensuite évolué dans la direction des solutions logicielles toutes prêtes et les clients ont cessé d'acheter uniquement les circuits intégrés. On est entré dans l'ère de la microélectronique industrielle et les produits sont devenus des systèmes. Il fallait aller vite, nos clients voulaient sortir des nouveaux téléphones tous les six mois, à chaque fois plus performants au niveau graphique, mémoire et consommation d’énergie.


En 2006, Philips Semiconducteurs devient NXP. En 2007, NXP rachète un pan d’activité de Silicon Labs qui maîtrise la technologie de radio RF CMOS. Je prends alors la responsabilité de la partie radio/téléphonie et c’est pour moi un changement de décor. L’époque d’Austin aux États-Unis. En 2008, NXP, ST Microélectronics et Ericsson fusionnent pour produire des systèmes complets de téléphonie, chacun capitalisant sur ses technologies (système, numérique, RF). C’est l’orientation du marché à ce moment-là et nous comptons alors parmi nos clients LG, Sony et Samsung. Le chiffre d’affaires à cette période se compte en centaines de millions.


Peu de temps après la fusion, la partie téléphonie de Nokia meurt. Nokia faisait partie de nos plus gros clients. De nouveaux acteurs entrent en même temps dans le champ concurrentiel, avec notamment Huawei et des industriels indiens qui centrent leur marché sur le low cost.


2009. Troisième moment charnière pour moi. Je suis nommé directeur général de ST Ericsson France, basé à Sophia Antipolis. Nous sommes alors 7 000 répartis sur 77 sites dans 40 pays sur les cinq continents. Dans les cinq années qui suivent, beaucoup d'actions de restructuration organisationnelle et sociale sont menées. Une fermeture de site. Plusieurs plans de départ volontaire… Je suis nommé vice-président en charge du business historique mais les ventes globales ne progressent pas assez et 2014 marque l’arrêt de la coentreprise. Nous n’étions pas parvenus à nous restructurer assez vite au vu de la métamorphose profonde du marché. En 2014, 3 000 personnes sur les 7 000 étaient encore salariées du groupe, dont 1 000 sur le pôle Italie-France.


Quel regard portez-vous aujourd'hui sur les enjeux principaux de la filière ?


Tous les deux ans, le niveau de complexité d'un circuit intégré double. C’est la loi de Moore, quasiment inchangée depuis les années soixante, quand Gordon E. Moore, alors ingénieur chez Intel, l’a énoncée pour la première fois. La seule limite finalement est celle de la physique. On commence aujourd’hui à parler d'électronique quantique, où les dispositifs sont tellement miniaturisés, qu’ils atteignent la dimension d’une seule molécule !!! Les transferts de charge sont infinitésimaux, ce qui joue en faveur de la vitesse et de la faible consommation d’énergie. On commence également à parler d‘électronique biologique’ avec l’émergence de technologie qui permet d’ultraminiaturiser le stockage de données sur de l’ADN synthétique. L’avantage, un bilan énergétique nul et la très faible place que ces datacenters miniatures vont prendre. Restent maintenant à trouver les solutions de lecture…


Et si l’enjeu principal de la microélectronique était justement de sortir de la microélectronique ? Pour moi c’est la vraie question. Chercher à répliquer toutes les fonctions actuellement proposées, mais d’une manière différente, qui permet d’aller encore plus loin dans la miniaturisation et dans la réduction de consommation énergétique. Toutes ces innovations trouvent évidemment un écho particulier par rapport aux enjeux contemporains de sobriété.


Comment passe-t-on de la direction d’une entreprise de microélectronique à la direction d’une association ? Qu’est-ce qui change, organisationnellement et en termes de vision ?


Quand j’arrive sur Sophia en 2009 à la tête de ST Ericsson France, je rencontre Frédéric Fourquin, alors responsable du site de Galderma et président du Club des Dirigeants. Je deviens membre du club puis administrateur. En 2014, quand la coentreprise s’arrête, je fais le choix de ne pas rejoindre ST-Microelectronics. Gérard Giraudon, directeur de l’Inria et président du club à cette période, me propose alors de faire évoluer le club. Il venait juste d’y avoir un audit interministériel de Sophia Antipolis qui avait préconisé une animation de la technopole par les entreprises. C’est dans ce cadre que le Club des Dirigeants a évolué et qu’il s’est ouvert à tout le monde, même aux plus petites sociétés. Gérard Giraudon m’a demandé de préparer la transformation du club, les statuts, l’équipe, le plan stratégique, et j’ai présenté le tout en AG le 2 décembre 2014. Si ça passait, j’en devenais le directeur. Les membres ont accepté la proposition de restructuration. Le Club des Dirigeants s’est mué en Sophia Club Entreprises ce jour-là et c’est devenu un club d’entreprises et non d’individus.


Ce qui a changé fondamentalement pour moi dans cette fonction, c’est la liberté. J’ai eu la chance que tous les présidents que j'ai connus m'aient fait entièrement confiance. Tout est simple quand tu pilotes une petite structure et que tu sais où tu vas...


Parmi les grandes fiertés, on a développé Sophia Talent Hub. On l’avait monté à l’époque avec Frédérique Ferrié, de la société sophipolitaine Altedia (devenue LHH). On avait remarqué un turnover de salariés intra-Sophia très faible, autour de 1 %. Cela nous paraissait incompatible avec le dynamisme et l’évolutivité d’une grande technopole. Nous avons donc créé une plateforme d’accompagnement des carrières et de développement des compétences, de nature à augmenter la fluidité de l’emploi sophipolitain. Une réussite, qui peut toutefois encore monter en impact dans les années qui viennent..



Etienne Delhaye n’a conseillé qu’une chose à Yannick Blancafort, sa successeure : « Lever la tête et regarder loin ». Avec un tel message de passation, nul doute que le Club reste entre de bonnes mains.

Parution magazine N°48 (mars, avril, mai)

Qu’en pensez-vous ?

Donnez-nous votre avis

Pour vérifier que vous êtes une intelligence humaine, merci de répondre à ce questionnement lunaire.