Vis ma vie
d’acheteur de satellites…

Par La rédaction, 18 mars 2025 à 11:31

Quoi d'9 ?

Marc Benhamou a travaillé près de vingt ans chez Thales Alenia Space avant de passer du côté d’un de ses clients. 2014. Virage professionnel chez Inmarsat, un des opérateurs majeurs de communications par satellite à l’époque, d’ancrage britannique, depuis racheté par le géant américain Viasat. La rédaction l’a rencontré dans ses fonctions de Senior Director Space Programs pour lui demander son avis d’expert sur les évolutions en cours...

Vous êtes acheteur de satellites pour Viasat. Airbus et Thales Alenia Space font partie de vos fournisseurs. Quelles tendances sont pour vous les plus marquantes dans les connectivités satellite ?


Aujourd'hui, le sujet sur lequel tous les opérateurs travaillent pour voir comment exploiter cette nouvelle technologie, c’est le NTN - Non-Terrestrial Network - appliqué à la 5G. En termes de potentiel, très concrètement, l'utilisation des normes 5G dans les communications spatiales va permettre de connecter directement des smartphones et autres équipements 5G à des services non terrestres sans passer par des relais sol. Il y a beaucoup de projets en cours en ce moment pour aller vers ce que l'on appelle le D2D, c'est-à-dire le Direct to Device. Bientôt, on téléphonera avec son portable en passant directement via une connexion satellite, sans s'appuyer sur les infrastructures sol. Cela rebat les cartes des télécommunications telles que nous les concevons aujourd’hui, avec des opérateurs télécoms historiques et leurs antennes sol en intermédiaires.


Un avantage certain du D2D est que cela va permettre une couverture réseau en continu, il n’y aura plus de zones blanches. On a tous connu ces moments en voiture où la connexion se coupe. Si on intègre un système de connectivité D2D au smartphone, lorsqu’il y a une perte de signal, le système va permettre de passer directement à un réseau satellite pour prendre le relais. On peut aussi penser à complètement s’affranchir des relais sol pour fournir un accès internet complet par satellite. C’est ce type de réflexion qui est aujourd’hui sur la table avec plusieurs projets de constellations prévues pour des orbites basses, dans la lignée de Starlink. On peut citer Kuiper, le projet d’Amazon, ou LightSpeed chez Telesat. Également les projets chinois.


Qu’est-ce qui change, organisationnellement ?


Fondamentalement, ce qui est en train de se passer, c’est une reconfiguration des modèles d’infrastructures. On est en train de passer à des modèles multi-orbites, hybrides, qui vont constamment faire le va-et-vient entre des constellations en orbite basse et des relais géostationnaires. Chaque hauteur d’orbite en effet a ses avantages et ses inconvénients.


Tous les acteurs majeurs du secteur sont donc actuellement en train d’ajuster leur stratégie. Le marché est en train de changer et les opérateurs télécoms redéfinissent et/ou affinent leur cible de clients pour composer les meilleures architectures qui répondent à cette cible. Aujourd’hui, Starlink prend énormément de parts de marché parce qu'ils ont une importante avance technologique et une grande rapidité de développement et de déploiement en orbite. Personne ne peut lutter aujourd'hui en Europe et c’est un défi très important pour l’industrie spatiale européenne. Va-t-elle pouvoir se renouveler suffisamment vite ? C’est un réel enjeu. Les projets qui sont lancés aujourd’hui, comme la constellation IRIS² par exemple, ne seront pas opérationnels avant plusieurs années et on peut légitimement se demander à la vitesse où va l’innovation actuellement en Europe si ces programmes seront dans la course. Aujourd'hui, on est encore dans le schéma où tout le monde court après Starlink.


Comment Viasat se positionne dans cette reconfiguration du marché ?


Nos marchés historiques sont bien sûr concurrencés par Starlink. Notre flotte actuelle est principalement géostationnaire, rassemblant les satellites ex-Inmarsat, ainsi que la flotte Viasat. Nous capitalisons sur la richesse de notre portefeuille de fréquences et de positions orbitales permettant différents types d‘applications. Historiquement, Inmarsat est associée à des fréquences assez basses (bande L), robustes aux aléas climatiques. Nous sommes en effet dépositaires depuis longtemps d’une délégation internationale de service public pour assurer les services de sécurité maritime et aérienne. Quand un navire envoie un signal de détresse, ça passe par notre système. C’est une grande fierté et en même temps, cela nous oblige car des contraintes sont associées. Cela force notamment à doubler les satellites au cas où il y ait une anomalie car il ne faut pas de discontinuité sur le service de prévention et de gestion des sinistres en mer. N’oublions pas qu’Inmarsat a été créé pour cela au départ et qu’à la base, avant de devenir un acteur privé, c’était une organisation internationale axée sur le maritime (INternational MARitime SATellite organisation).


Un axe majeur de notre développement est de renforcer notre offre haut-débit en complémentant notre couverture globale assurée par la flotte actuelle. Nous déployons donc les satellite Viasat3, et nous développons avec Airbus trois satellites géostationnaires, GX 7, 8, 9, pour assurer un apport de capacité ciblé sur ce que nous appelons des hotspots (les grands aéroports et les routes de vol très fréquentées par exemple). Cela va apporter une capacité additionnelle en bande Ka, dans des fréquences beaucoup plus hautes qui permettent d’avoir des débits plus importants pour les utilisateurs. Cela va notamment permettre de couvrir des applications de wifi dans les avions et des applications de data pour les flottes de navires.


On travaille aussi sur le déploiement de constellations (en particulier sur les aspects D2D) mais il faut savoir que ce sont des investissements très importants. Il faut pouvoir fabriquer et lancer plusieurs centaines de satellites en même temps, c'est sans commune mesure avec les coûts de développement d’un satellite géostationnaire. Pour vous donner un ordre de grandeur, déployer une constellation va être de l’ordre du milliard. Déployer un satellite géostationnaire se compte en quelques centaines de millions…



Que de chemin parcouru depuis E.T. Téléphone. Maison.

Parution magazine N°48 (mars, avril, mai)

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