Telecom Underwater Valley

Par Magali Chelpi-den Hamer, 7 septembre 2024 à 11:28

De Tech à tech

XPERT fait partie de ces startups qui ont vite compris que le maritime est un nouveau Far West. Cette jeune société sophipolitaine a mûri pendant le Covid et a déposé ses statuts en septembre 2021. Telecom, mécanique, photovoltaïque, l’orientation des métiers a été pragmatique et le volet génération d’énergie est important pour que les équipements puissent fonctionner au fond de l’eau. Rencontre avec son fondateur, Julien Holtzer, qui nous éclaire sur les enjeux des télécommunications au fond des mers.

La visite commence par les bassins, l’antre de Stéphane Rainaut, CTO de l’entreprise. L’électronique ne réagit pas pareil en effet selon le milieu. L’étanchéité est la même en eau douce et en eau salée, en revanche, la salinité fait diminuer très rapidement la qualité de transmission du signal et, de manière plus large, tout ce qui est propagation d’onde électromagnétique se comporte différemment.


Ici, on teste les sondes ainsi que dans les bassins voisins de Nautipolis. Pas de 5G au fond des mers, communiquer sur de longues distances en non filaire reste un casse-tête technologique. Au niveau de la R&D d’XPERT, on teste la permittivité diélectrique. Derrière ce terme savant qui désigne concrètement une propriété physique, les équipes techniques testent la réponse d’un milieu spécifique à un champ électrique appliqué.


Plusieurs sondes sont visibles à côté des bassins. Une passerelle flottante destinée à être installée à l’intérieur d’une bouée. C’est le plasturgiste azuréen Julien Negri de la société Aqua-Module qui a conçu un plastique spécial qui laisse passer suffisamment de rayonnement pour qu’un panneau solaire caché à l’intérieur de la bouée puisse alimenter un système de communication non filaire, via des ondes radio, qui puisse communiquer avec la sonde immergée. La sonde et ses capteurs en soi seront toujours masqués, indécelables au fond de la mer (sauf pour des plongeurs lors de leurs pérégrinations sous-marines). Des prototypes de batteries sont aussi visibles. C’est d’ailleurs l’un des premiers produits développés par la société au vu des enjeux inhérents à la gestion de l’énergie des circuits électroniques immergés. Un atelier voisin de mécatronique permet de souder, d’assembler de la micro-électronique et d’imprimer en 3D. Des benchs de télémétrie permettent de tester le fonctionnement sur de longues périodes.


Vers plus de frugalité dans les transmissions


Une diversité d’indicateurs peut être collectée par les sondes. Des paramètres environnementaux classiques comme la température de l’eau, la salinité, l’acidité, la teneur en oxygène, comme l’activité bactériologique… L’approche est d’être smart dans les remontées d’information pour rester frugal au niveau énergétique. S’il n’y a pas de 5G au fond des mers, il n’y a pas non plus de prise de courant. L’idée ici est donc de ne transmettre que ce qui semble hors norme et ce qui varie de manière importante du modèle prédictif développé en amont. In fine, c’est la même logique que dans les transmissions spatiales : moins transmettre pour moins consommer d’énergie ; mieux transmettre pour ne renvoyer que les données utiles. Mais au-delà de ces technicalités, on peut légitimement se poser la question de qui fait le tri et sur quelles bases. Souveraineté et paramétrage n’ont pas fini de faire parler.


« Cette sonde est totalement polyvalente et on peut l’adapter sur mesure. On peut modifier les capteurs embarqués et on a des entrées-sorties pour brancher des hydrophones et des caméras. Le principe général de notre technologie est que la sonde établit une communication verticale vers la surface pour transmettre de la donnée. Elle a une autonomie de décision, elle a une autonomie énergétique avec des batteries et elle a des moyens de production d'électricité qui viennent se greffer dessus. C’est un dispositif qui peut rester immergé plusieurs années et qui est complètement autonome avec une IA embarquée. »


Bienvenue au pays des ondes


Il existe plusieurs types d’ondes qui se distinguent par leurs propriétés physiques. Il est courant de distinguer les ondes acoustiques qui ont besoin d’un support de matière pour se propager (c’est typiquement l’exemple de l’élastique qui vibre avec un son audible qui peut naître de la vibration de l’objet) des ondes électromagnétiques qui n’ont pas besoin de support matériel pour se propager. Un sonar est une application type des ondes acoustiques et ce sont les caractéristiques du son réfléchi par un élément sous-marin qui vont être utilisées pour déterminer la distance entre le point d’origine et cet élément.


Une spécificité d’XPERT est d’avoir investi le champ encore sous-utilisé des ondes électromagnétiques pour le milieu sous-marin. Ces ondes ont la particularité de pouvoir transmettre un signal à grande vitesse sur de grandes distances. Elles sont catégorisées par bandes de fréquence. Le spectre électromagnétique est large. On y trouve des ondes à très haute fréquence, comme les rayons UV, X ou gamma, qui ont la particularité d’être très chargées en énergie, ce qui les rend en capacité de modifier la structure de la matière traversée. Ces ondes peuvent altérer une molécule, libérer un électron et transformer un atome en ion. Les ondes radio font partie des fréquences basses du spectre, sous le spectre visible. Dans les milieux sous-marins, ce sont surtout les basses et les très basses fréquences, en dessous de 50 KHz, qui sont utilisées dans les communications sous-marines.


Comme Julien Holtzer nous l’explique : « L’inconvénient des ondes acoustiques est qu’elles ont un fort impact sur le milieu marin. C’est de plus en plus banni pour des usages prolongés. On en utilise parfois pour faire de la longue distance sur plusieurs kilomètres. Mais quand on le fait, on utilise des signaux beaucoup plus courts qui se confondent dans le bruit ambiant pour éviter de perturber la faune marine. Il y a des directives très strictes du ministère de la Mer là-dessus et des directives européennes sont en réflexion pour réduire le bruit acoustique, et d’une manière générale, tout ce qui relève du bruit anthropique sous les mers. Chantiers de construction, forage… Des mesures sont possibles. Quand on pose des pieux au fond de la mer pour installer des plateformes, des rideaux de bulle installés au bon endroit et déclenchés au bon moment peuvent couper le bruit du chantier de construction et éviter la propagation des ondes sonores. »


Les perspectives


XPERT a déployé ses sondes en deux endroits différents en Méditerranée et travaille sur un projet commun entre l'université Côte d'Azur et la Costa Smeralda qui présente des similitudes territoriales avec la Côte d’Azur. Une piste de développement que la société creuse porte sur la protection des installations stratégiques en mer. Une autre piste, les voies navigables et les compétitions sportives sur l’eau. Des optiques peuvent s’installer sur les sondes et un paramétrage peut se faire pour prendre des photos uniquement au moment opportun. Et de la même manière que les transmissions Espace-Terre s’orientent de plus en plus vers du traitement de données en l’air et la transmission d’alertes précoces sans image, à la limite du SMS, les transmissions en provenance des milieux sous-marins empruntent la même voie.


À cinq ans, les perspectives pour la société ne manquent pas. Le virage des drones de surface et des drones sous-marins a été pris, tant pour des applications de défense que pour des applications civiles, et dans le contexte de regain d’intérêt du Maritime et des enjeux géopolitiques (rappelons que des câbles sous-marins ont été sectionnés au large de Marseille quelques mois après le début de la guerre en Ukraine), XPERT continue à tisser son réseau. La société a rejoint le GICAN, le groupement des industriels de la construction et des activités navales, et est membre actif du pôle SCS et de Telecom Valley que Julien Holtzer co-préside avec Teresa Colombi. Modem haut débit optique en point à point direct, câbles enfouis très haut débit, bouées relais satellite, modem acoustique longue distance bas débit, furtivité biomimétique des communications sous-marines… Le chant des baleines n’est plus forcément chanté par des cétacés.

Parution magazine N°46 (septembre, octobre, novembre)

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