Assises européennes du Journalisme
RSF et l’IA
un mariage de raison

Par La rédaction, 6 décembre 2024 à 02:28

La Relève

Reporters sans frontières (RSF) a un nouveau directeur général depuis juillet 2024. Thibaut Bruttin, 37 ans, diplômé de Sciences Po Paris, est historien du cinéma. Pour la première fois de son histoire, l’ONG fondée en 1985 n’est pas dirigée par un ancien journaliste. Axel Dumond, étudiant à l’école de journalisme de Cannes, a échangé avec lui le 21 novembre dernier lors de la deuxième édition des Assises européennes du Journalisme de Bruxelles.

Christophe Deloire, secrétaire général de RSF, est décédé brutalement en juin 2024. Comment avez-vous réussi à prendre la suite de cette figure du journalisme ?


Parce que la peine est tellement immense qu’il faut la surmonter. Le meilleur moyen de la surmonter c’est l’action. J’ai travaillé pendant dix ans avec Christophe Deloire, c’était un collègue mais aussi surtout un ami. Son ambition, ses messages, sa vision du journalisme, c’est la mienne. Ses méthodes ne sont pas forcément les miennes mais moi, ce qui m’a semblé nécessaire après son décès, c’était de reprendre le flambeau. On ne peut pas laisser une cause comme celle-là, avec une organisation qui est centrale comme RSF, s’arrêter quelques instants. Dès le lendemain, on a travaillé pour faire libérer un journaliste. On y a vu un signe qu’il fallait continuer.


Vous êtes historien du cinéma, vous n’avez jamais fait de journalisme. N’est-ce pas un paradoxe d’être à la tête d’une organisation qui défend les journalistes ?


J’ai déjà écrit des articles mais je ne me considère pas comme journaliste, cela n’a jamais été mon métier. On ne défend pas les intérêts sectoriels ou industriels des journalistes ou des entreprises de presse. Pour ça il y a des syndicats, qui font un boulot formidable. Nous, on défend le journalisme en tant que fonction sociale, en tant que capacité à raconter le monde. Et on le raconte du point de vue des citoyens. Parce que ce sont les citoyens qui ont droit à l’information fiable. La liberté de la presse est trop souvent perçue par des non journalistes comme le privilège des journalistes de faire ce qu’ils veulent. En fait, le journalisme, ce sont des droits et des devoirs qui sont exercés au service de la liberté d’opinion des citoyens. En tant qu’historien du cinéma si je fais un parallèle avec mon parcours, le cinéma, que ce soit un cinéma documentaire ou de fiction, contribue à façonner une vision du monde. Je crois que le journalisme fait pareil. C’est aussi une façon de construire notre regard sur la réalité, sur les émotions des gens, sur la vie des autres. Personnellement, j’ai à la fois l’envie d’agir pour permettre cette construction et j’ai aussi l’envie de la questionner.


Le thème des Assises tournait autour de l’IA. Pouvez-vous nous dire un mot sur le projet Spinoza qui est piloté par RSF ?


Spinoza est un outil d’intelligence artificielle que RSF a initié et qui est désormais développé et testé avec toute une communauté issue de l’Alliance de la presse d’information générale, un syndicat professionnel français. Le projet consiste à utiliser les capacités langagières des IA génératives. On va les mettre au service du journalisme pour chercher à comprendre des corpus très profonds, longs et techniques. En ce moment, on est en train de tester l’outil sur la thématique Climat. L’IA permet d’aller chercher dans les rapports du GIEC, de regarder ce que la presse régionale dit, ce que la législation prévoit... Ça ne vous écrit pas l’article mais cela génère une synthèse qui vous permet de vous informer de manière plus efficace. L’outil Spinoza, c’est du journalisme augmenté. Nous pensons que si les entreprises de presse partent dans un usage débridé d’une IA qu’elles ne maîtrisent pas, ou si elles se disent que l’IA n’est pas pour elles, peut-être qu’elles passent à côté de quelque chose. Et peut-être qu’elles passent à côté d’outils qui pourraient permettre de faire du meilleur journalisme.




Reporters sans frontières est une ONG qui défend la liberté d'informer et d'être informé. Protection des journalistes, dénonciation de la censure, actions judiciaires en soutien aux journalistes persécutés... RSF, dont le siège est à Paris, opère partout dans le monde et compte des correspondants dans plus de 130 pays.

Parution magazine N°47 (décembre, janvier, février)

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