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De Tech à tech
Plante éditée en cours de régénération en condition de culture in vitro © INRAE
Des virus dit bactériophages infectent des bactéries. L’étude fine de ce mécanisme infectieux a débouché sur une technique surprenante : l’édition du génome. Cette avancée majeure en génie génétique a ouvert de nouvelles possibilités pour améliorer naturellement les plantes par mutagénèse ciblée et non par transgénèse aléatoire. Jean-Luc Gallois, chercheur à l’INRAE en génétique et amélioration des fruits et légumes, nous a expliqué les applications de cet extraordinaire ciseau moléculaire pour adapter des variétés de plantes aux contextes du réchauffement climatique et à la transition agroécologique.
Éditer le génome vaut bien un prix Nobel !
En 2020, Emmanuelle Charpentier (une Française) et Jennifer Doudna (une Américaine) décrochent la timbale… le prix Nobel de chimie. Leurs découvertes et invention, le CRISPR-Cas91, révolutionnent une nouvelle fois le génie génétique. Cas9 est une protéine d'origine bactérienne aux propriétés antivirales. « Elle a la capacité de couper l’hélice d’ADN à l’endroit d’une séquence spécifique2 quand un brin d’ARN, porteur d’une copie de la séquence à rechercher, le lui indique. À l’instar d’un GPS moléculaire », explique Jean-Luc. La mise au point de la technique d'édition génomique CRISPR-Cas9 découle de mécanismes naturels, un avantage certain tant il est vrai que depuis les origines l’ingénierie génétique a été mise en procès pour jeu dangereux à l’apprenti sorcier.
« Copier / Coller / Couper » dans les caractères des uns et des autres
Très concrètement, comme nous explique Jean-Luc, « chez le piment, nous avons identifié un gène de sensibilité au virus, et dans certaines variétés, des variantes de ce gène (allèles) qui rendent la plante résistante au virus. Ces variantes (issues de mutations naturelles) existent également chez la tomate, la laitue, l’orge. Elles n'existent pas en revanche chez le manioc, la vigne ou certains arbres fruitiers. En recopiant les variations d'un tel gène chez ces espèces, nous pourrions les rendre elles aussi résistantes au virus. Nous avons pu en faire la démonstration chez la tomate3».
La communauté scientifique s’est bien sûr emparée de cette révolution, les vulgarisateurs également. Ils la baptisent de façon presque poétique le « ciseau moléculaire ». Ce nouvel outil dans l’arsenal du génie génétique permet, en coupant une séquence donnée de la molécule d’ADN, d’inactiver le gène associé. Dans des cas plus rares, des versions plus évoluées de l’outil CRISPR permettent de modifier ce gène, et d’imiter des allèles d’intérêt. Le bénéfice pour les chercheurs est indiscutable. Leur capacité d’inspection du génome pour en décoder le mieux possible les allèles et leur expression phénotypique s’en trouve décuplée, et in fine permet d'identifier les origines d’un « trait » ou d’une maladie (génétique).
À ce stade, l’analogie avec un traitement de texte apparaît moins vulgarisatrice que tentante. Pour les profanes, l’ADN se présente pareil à un roman écrit avec un alphabet de quatre lettres. La complexité du récit réside dans le sens à donner aux mots, aux phrases, aux chapitres, dans leur interprétation et dans ce qu’ils expriment. La nature, grâce à l’ARN, sait très bien manier le « copier/coller » au sein de ce titanesque code génétique. C’est même le mécanisme fondamental utilisé par le vivant pour procéder à ces milliards de divisions cellulaires simultanées, malgré des erreurs de recopie fréquentes qui entrainent ces fameuses mutations, causes de l’apparition de variétés au sein d’une même espèce. Ce qui en soi reste une très bonne nouvelle. Comme le résume Jean-Luc : « Ces erreurs de la machinerie de réplication sont les moteurs de la diversité et de l’évolution et à l’origine des fruits et légumes domestiqués que nous consommons tous les jours. »
Piloter une mutagénèse précise au lieu d’espérer qu’elle se produise par chance
Le ciseau moléculaire améliore donc l’interface utilisateur du généticien en lui offrant en complément du « copier/coller », la possibilité du « couper/coller » (pour les puristes, « couper » certainement, « coller » pas systématiquement, il faut encore que la technique progresse). En utilisant des mécanismes viraux naturels, le chercheur réussit désormais à piloter une mutagénèse qui ne soit pas une transgénèse. À l’exception de la machinerie CRISPR exprimée temporairement dans la plante, aucun matériau génétique exogène à la cellule n’est importé, contrairement à des techniques plus anciennes qui ont alimenté ces controverses bien légitimes autour des OGM, organismes génétiquement modifiés, suspectés d’être dangereux car issus d’un processus trop éloigné des processus normaux de mutation.
« L’édition du génome est devenue une technique plus simple à mettre en œuvre, et surtout très ciblée vis-à-vis des changements qu’elle va opérer sur un organisme. Ces changements sont indiscernables des mutations naturelles qui peuvent survenir chez ces plantes », Jean-Luc le confirme. Exit la transgénèse non ciblée, trop aléatoire, trop empreinte de tâtonnements et d’inconnus. Vive la mise au point naturelle de variétés utiles, porteuses de traits d’intérêt pour les filières agricoles.
Les nouvelles techniques génomiques au service de l’agroécologie pour s’adapter à la crise climatique
Mais au fait… pourquoi et pour qui aller lire, décoder, interpréter tel ou tel paragraphe du grand livre de l’ADN? Pourquoi et pour qui aller identifier tel ou tel gène d’intérêt ? Durant les Trente Glorieuses, l’agronomie et l’agriculture, de concert, firent des bonds immenses pour relever les défis alimentaires de l’époque, toutes deux tendues vers les rendements et le profit. Le génie génétique, alors plus primitif, a encouragé l’utilisation d’intrants - herbicides, pesticides, fertilisants - contraignant la nature à produire, à « performer », comme un cycliste pépite qu’on détecte dans un modeste club régional, puis qu’on entraîne, qu’on dope (un peu quand même…), qu’on soumet à une diététique drastique pour lui faire gagner le Tour de France. Depuis la prise de conscience de la crise climatique et du constat de ses effets pour le moins inquiétants, les filières agricoles se mobilisent pour certes atténuer les causes du problème, mais de plus en plus pour s’adapter à un nouveau contexte, en mettant en avant les concepts d’agroécologie.
La course aux rendements appauvrit les sols, fragilise la biodiversité et compromet tout simplement à long terme la notion même d’agriculture, tout en aggravant les causes et les effets de la crise climatique. Sur ce postulat a germé l’idée d’une agriculture plus respectueuse du vivant, une agroécologie collaborant plutôt que contraignant une nature qui agit merveilleusement bien grâce à des années d’évolution. Cette agroécologie promeut des approches simplement naturelles et non forcées par la chimie. Le génie génétique lui a emboîté le pas et a aussi entamé son aggiornamento. Plutôt que sélectionner uniquement l’individu super champion du rendement, pourquoi ne pas trouver celui qui résiste naturellement à tel ravageur ? Ou celui dont le goût est savoureux ? Ou celui dont le réseau racinaire résiste mieux au stress hydrique ? Ou celui dont la taille facilite la récolte ? Ou celui qui est le mieux équipé pour prospérer à basse température et se récolter tardivement ? Ou celui dont la symbiose avec une autre espèce compagne permettra une meilleure pollinisation ?
« Dans ce contexte, les nouvelles techniques génomiques - souvent raccourcies en NTG - dont CRISPR-Cas9 est un peu le fer de lance, arrivent à point nommé et pourraient fournir un outil supplémentaire pour l’amélioration des plantes ». Pour Jean-Luc Gallois, c'est très clair. Le ciblage rendu possible aujourd'hui par ces techniques affranchit le sélectionneur de ce qui auparavant s’apparentait un peu à un jet de dés génétique. Le généticien sait davantage ce qu’il cherche, où il va le trouver, et le proof of concept, à savoir la variété porteuse des traits désirés, sera conçu plus rapidement.
Est-ce pour autant la panacée ? Le Graal de l’agroécologie a-t-il été découvert ? Evidemment non ! Le vivant ne se dévoile pas aussi facilement et recèle encore bien des secrets et des zones d’ombre. Ces nouvelles techniques génomiques ne donnent pas forcément les résultats escomptés chez toutes les espèces et la recherche d’un trait spécifique n’est pas non plus binaire. Il faut bien souvent identifier plusieurs séquences à plusieurs endroits pour comprendre comment un caractère spécifique s’exprime. La lecture intelligente du grand livre du génome est loin de s’achever.
Pour que la génétique reste gén-éthique… quels choix ?
S’agissant de la règlementation, de l’éthique, les questions soulevées au moment de l’apparition des OGM à la fin du 20e siècle, et confiées à l’époque au législateur, sont toujours d’actualité. Brevetabilité, propriété intellectuelle et industrielle, règlementation sanitaire, modèle économique en particulier pour les semenciers et industriels phytosanitaires, liberté de choix de l’agriculteur et du consommateur, déséquilibre géographique entre pays et continents… Toutes ces questions sont à ce jour largement débattues à l’échelon européen et national tant elles engagent des choix sociétaux et des questions d’équité et de patrimoine commun qui dépassent le cadre purement technologique et scientifique. C'est dans ce contexte que l'INRAE coordonne, dans le cadre de France 2030, le PEPR (Programmes et équipements prioritaires de recherches) « Sélection végétale avancée pour faire face au défi climatique et à la transition agroécologique », au sein de la stratégie d’accélération « Systèmes agricoles durables et équipements agricoles contribuant à la transition écologique ».
L’irruption du ciseau moléculaire dans la boîte à outil du chercheur en génétique est une excellente nouvelle. D’abord pour le chercheur lui-même, puis pour le climat, l’agriculture, l’écologie et la biosphère… Indéniablement. Ce ciseau moléculaire pourra-t-il relever tous les défis ? Évidemment non. Comme toute rupture de cet ordre, des questions de société restent à trancher. Les perspectives sont enthousiasmantes mais notre rapport au vivant, à notre coexistence, et notre collaboration avec la nature sont plus que jamais à l’ordre du jour.
Couper dans l’ADN ? Pas mal du tout ! Mais sans nous couper de nos responsabilités en humanité. Science sans conscience…
1. CRISPR-Cas : Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats
2. On dit en génétique un locus (pluriel « loci », directement issu du latin). Cela désigne une position fixe d'un gène sur un chromosome. Une variante d'un gène situé sur un locus donné est un allèle. Il y a en effet plusieurs gènes à un locus, et chaque gène peut prendre plusieurs formes, c’est-à-dire séquences ou allèles.
3. Pour plus d'information, www.inrae.fr/actualites/copier-nature-resister-aux-virus
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