Produits phytosanitaires et toxicologie du futur
De Tech à tech
Culture monocouche de cellules neuronales de mammifères (neurones), diamètre 60μM, noyaux cellulaire (bleu), cytosquelette (rose), mitochondries (jaune) © DR
Les solutions au service de la protection des cultures vivent une révolution copernicienne à la confluence des progrès de la génétique, de la modélisation numérique et de l’IA. Le site de Bayer Crop Science à Sophia rassemble une centaine d’experts chargés d’évaluer la potentielle dangerosité des produits phytosanitaires pour la santé humaine avant leur homologation. Philippe Perret, directeur du site, nous a reçus pour décrire les mutations opérées depuis cinq ans dans cette filière.
Selon l'agence spécialisée des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), la population mondiale atteindra 9,6 milliards d’individus en 2050, ce qui devrait nécessiter l'augmentation de 50 % de la production agricole actuelle. Dans le même temps, la FAO estime que les surfaces de terres arables disponibles continuent de régresser. « En 1950 l’agriculture disposait de 0,45 ha par habitant. Ce chiffre devrait tomber à 0,16 en 205 », énonce Philippe Perret. Le défi de l’agriculture du futur se résume dans ce paradoxe : produire plus sur moins de surface cultivable et assurer au mieux une suffisance pérenne si ce n’est une souveraineté alimentaire.
Ce défi est d’autant plus difficile à relever à cause du réchauffement climatique car on estime en effet qu’il est responsable de 17 % des pertes agricoles à l’échelle mondiale. Les 10 000 ravageurs et pathogènes potentiels pour les plantes causent pour leur part 30 à 40 % de ces pertes. Pour toute la filière qui va de la graine à l’assiette, pour les chercheurs, agronomes, les semenciers, les industriels et les agriculteurs, la marche n’a peut-être jamais été aussi haute…
Trois leviers aujourd’hui indissociables pour la protection des cultures
Comment répondre à l'injonction du produire plus tout en produisant mieux, en particulier en diminuant les intrants ? Comment accompagner vers une transition agroécologique vertueuse des métiers en pleine recomposition et dont les crises du premier semestre 2024 ont révélé les inquiétudes ?
Les semences sont le premier levier sur lequel une société comme Bayer Crop Science agit. Assez logiquement, la lutte contre les ravageurs et la sécheresse commence en amont du process de culture par la mise à disposition, grâce à la sélection variétale classique, de semences aux propriétés idoines pour résister à toutes ces agressions. Ensuite, pendant la période de culture, Bayer propose des produits de protection des cultures. Les produits phytosanitaires et les biocontrôles permettent de lutter directement contre les ravageurs, et les biostimulants renforcent le système immunitaire de la plante pour muscler sa self-défense. Bayer promeut enfin tout un panel de solutions d’agriculture numérique : prévision, aide au diagnostic et à la décision, pilotage intra-parcellaire au m2 près de la diffusion des intrants. « Grâce aux données collectées en plein champ, sur les rampes d’épandage, les buses pilotées individuellement appliquent la juste dose du bon produit au bon endroit », résume ainsi Philippe.
Cette précision de mise en œuvre, tout en respectant beaucoup mieux l’environnement, améliore le bas de bilan. « L’agriculture a depuis longtemps migré d’une obsession pour le rendement vers une intelligence de la marge », souligne Philippe. Autres temps, autres impératifs, autres pratiques. Les principes agroécologiques de non labour, de couverture des sols en permanence avec des couverts végétaux, de rotation des cultures de plus en plus diversifiée et longue, de réduction de la consommation d’eau sont monnaie courante.
CropKey, une rupture à bas bruit mais fondamentale
Depuis cinq ans, une révolution méthodologique est en marche chez Bayer, une disruption baptisée l’approche CropKey1. Auparavant, pour identifier une molécule phytosanitaire, les chercheurs testaient empiriquement des centaines de milliers de molécules. « On parle ici de tester la bagatelle de 150 000 molécules, comme si l’on insérait 150 000 clés différentes dans une serrure particulière, en espérant que l’une allait enfin fonctionner », explique Philippe. Entre la phase de R&D et l’homologation, il faut en moyenne douze ans pour mettre un produit phytosanitaire sur le marché.
Aujourd’hui, on part de la cible. C'est-à-dire qu'on part d'une protéine de l’organisme du ravageur. Les laboratoires Bayer ont par exemple la possibilité, grâce aux avancées dans la connaissance du fonctionnement des cellules et de l’IA, d’identifier précisément la protéine à cibler, puis de désigner une ou plusieurs molécules candidates et de les modéliser en 3D. L’approche a opéré un retournement à 180°. « 80 % de ce qu’on fait en laboratoire aujourd’hui n’était pas possible il y a cinq ans », annonce Philippe. « Désormais, chez l’insecte, la mauvaise herbe ou le champignon, nous connaissons (mieux) la protéine à inactiver. Cette protéine, c’est la serrure. Et nous pouvons fabriquer une clé sur mesure qui va l’actionner et la verrouiller pour inactiver la protéine et se débarrasser du ravageur ».
Non seulement l’IA aide à concevoir cette molécule clé, mais elle assiste aussi les équipes lors des différentes étapes du processus de recherche pour cibler automatiquement les éléments d’intérêt dans les images issues des microscopes. Comme l'indique Philippe : « Là où nous traitions 50 clichés par jour, la microscopie automatisée nous autorise la prise en compte de 500 images en quelques minutes pour comprendre des interactions entre des molécules et des cellules, ou détecter des symptômes de maladie invisibles à l’œil nu. » Désormais, les outils de prédiction, beaucoup plus exhaustifs, signalent, très en amont des recherches, les paramètres importants à prendre en compte. Les résultats s’en ressentent : plus précis, plus sûrs, plus durables. Ils redéfinissent les normes pour l’industrie dans lesquelles les impacts environnementaux de ces molécules sont vraiment minimaux.
Sophia, le site mondial de Bayer pour les analyses toxicologiques
Le site de Sophia Antipolis est l'un des treize sites de Bayer Crop Science en France. Il a été créé dans les années 70 et regroupe une centaine de collaborateurs. Au sein du groupe, il est le site mondial dédié aux études toxicologiques des produits phytopharmaceutiques mis sur le marché. Des techniciens de laboratoire, des experts en toxicologie, en biologie cellulaire et moléculaire, en histologie, des doctorants pharmaciens, pathologistes, accomplissent les études nécessaires pour monter les dossiers en homologation auprès de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (l'EFSA, European Food Safety Authority) et des autres agences internationales. « Sur 300 études demandées pour une homologation, seulement 10 % concernent l’efficacité agronomique de la molécule. 50 % des études sont des études d'impact sur la santé humaine. 40 % s'intéressent aux conséquences du produit phytosanitaire sur l’environnement. » Un laboratoire comme celui de Sophia est tenu de respecter un guide BPL pour Bonnes Pratiques de Laboratoire. Il est contrôlé tous les deux ans par le Comité français d’Accréditation (COFRAC) en vue d'obtenir (ou de garder) un agrément. « Chez Bayer Crop Science, nous détenons un agrément depuis 1990 pour mener des études de vérification du potentiel toxicologique des produits. D’abord très court terme, de toxicité aigüe, puis subchronique, et chronique jusqu’à deux ans. Ensuite nous envoyons nos résultats à nos collègues allemands de Monheim am Rhein qui évaluent le paramètre d’exposition. »
La méthode en toxicologie consiste d’abord à évaluer le danger intrinsèque d’une molécule pour les humains, son caractère mutagène, sa possible accumulation dans les organes, son agressivité sur les tissus… Ensuite, c'est le paramètre d’exposition des organismes à ce danger qui est estimé. La valeur du risque réel encouru est le résultat du produit du danger par l’exposition. Comme l'exprime simplement Philippe : « Le requin présente un danger certain mais si vous n’y êtes pas exposé en restant sur la plage, le risque final est nul. » Ce sont les experts du site de Monheim et de Lyon qui évaluent les doses auxquelles les consommateurs seront exposés. À titre d'exemple, Philippe cite le cas suivant : « Il faudrait qu’un individu ingère 88 kg de melon en moins de 24 h pour risquer d’atteindre la limite maximale de résidus. C’est cette dose qui fait le poison. »
La toxicologie du futur, identification systématique du rôle des protéines et jumeaux numériques
D’ici une dizaine d’années, les métiers de Bayer Crop Science évolueront encore à grand pas. Aujourd’hui déjà, des toxicologues nouvelle génération et des bio-informaticiens rejoignent les laboratoires de Bayer. Entre les recherches sur le protéome2, le transcriptome3 et les images générées par la microscopie automatisée, la quantité de données à traiter impressionne et les algorithmes à bâtir pour les analyser et en tirer des conclusions biologiques robustes sont légion.
La toxicologie du futur s’appuiera également sur des jumeaux numériques, recréant des modèles de systèmes biologiques complexes. Elle simulera aussi tant que possible sur un modèle humain digital l’impact toxique de la présence de telle ou telle molécule sur les fonctions, les organes, les tissus… « On ne fait pas de bonnes recherches tout seul », énonce Philippe… Bayer Crop Science collabore avec des universités, échange avec d’autres centres de recherche et participe au consortium européen RISK-HUNT3R4 et à la plateforme publique-privée PEPPER qui depuis cinq ans fédère la recherche sur les perturbateurs endocriniens. La société anime en outre son propre réseau mondial LifeHub, où se rencontrent une diversité d'acteurs pour promouvoir l’ouverture dans l’innovation agroéconomique et agroécologique.
La chimie du futur… des chercheurs augmentés par l’IA
La protection des cultures du futur repose sur une approche plurielle et holistique qui se base sur plusieurs piliers. De la semence à la récolte, l’agriculteur du futur aura accès à des solutions sur mesure pour la santé de ses plantes. Parmi ces solutions, la chimie continuera à jouer un rôle important dans la protection des cultures. Elle a su s’adapter pour répondre aux attentes des agriculteurs et de la société, elle apporte aujourd’hui des degrés de précision et de sécurité inégalés.
Comme le sculpteur qui, pour faire jaillir son œuvre du bloc de marbre, le débarrasse du trop-plein de matière, le chercheur en chimie de protection des cultures, augmenté par l’IA, va arriver à désigner finement une molécule unique parmi une infinité de possibilités.
1 Littéralement « la clé des champs » ou « la clé des moissons »
2 Un protéome est un ensemble de protéines au sein d'un organisme, d'un fluide biologique, d'un tissu, d'une cellule ou d'un compartiment cellulaire.
3 Un transcriptome est un ensemble de transcrits présents dans une cellule à un moment donné et dans des conditions données. C'est une image de l'état fonctionnel du génome.
4 RISK-HUNT3R est un projet européen intégrant notamment les aspects 3R (pour Reduce, Refine, Replace) afin de diminuer sensiblement le nombre d’études animales. L'acronyme désigne en anglais « RISK assessment of chemicals integrating HUman centric Next generation Testing strategies promoting the 3Rs ».
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