Soigner par 0 G
Planète bleue
Vue de ISS © NASA
Dans le domaine du NewSpace, on ne joue pas aux dés quand on lance un cube, on expérimente. SpacePharma s’est résolument engouffré dans ce secteur en plein boom. Cette startup aux quatre ancrages - Suisse, États-Unis, Royaume-Uni, Israël - peaufine son implantation sur Sophia Antipolis en faisant jouer les complémentarités au service de la recherche dans les sciences du vivant. Rencontre du troisième type avec Paul Kamoun, CEO de la branche européenne de SpacePharma.
Sur Terre, des vaches. Parfois folles. Parfois vecteurs d’une maladie à prion neurodégénérative mortelle pour l’homme. En l’air, des boîtes à chaussures. Des enfilades de cubes de 10 cm de côté bardés d’électronique ultra-miniaturisée et de technologie microfluidique. Chacun des cubes contient un bioréacteur de la taille d'une carte de crédit. Dans l’un d’eux, une thérapie expérimentale incube. Peut-être le futur traitement de la maladie de Creutzfeldt-Jakob.
Les nouvelles usines…
Le décor est posé. SpacePharma aura eu le mérite de faire partie des pionniers. De ceux qui sont allés au-delà de rêver à des usines miniatures. De ceux qui en ont posé les premières bases concrètes. Sur l’ISS pour commencer. Ces nouvelles usines ne pèsent que quelques kilos. Pas besoin de conventions collectives, elles fonctionnent de manière autonome et on peut les commander à distance. Un astronaute n’a pas besoin de les manipuler en dehors de les brancher à leur arrivée sur une prise de courant. Ces usines lilliputiennes sont à la pointe. Complètement étanches - niveau biosafety 3 oblige - virus et bactéries peuvent s’y multiplier à leur aise devant toute une armada de capteurs qui vient poser en chiffres les observations de leurs interactions avec des principes actifs pharmaceutiques en gravité 0. Paul Kamoun nous explique le concept : « On parle de système très réduit. Notre premier laboratoire R&D faisait deux unités satellite. Une unité satellite correspond à un cube de 10 cm de côté, donc notre premier labo mesurait 20 cm par 10 par 10. Nous l’avons embarqué à bord de notre propre nanosatellite, équipé de nos propres panneaux solaires, le tout en termes de dimension faisait un peu plus de 30 cm de hauteur. La deuxième version du laboratoire était un peu plus évoluée. On l’a calibré pour l’embarquer sur la Station spatiale internationale de telle sorte qu’on puisse ramener les données et les produits sur Terre. C’est tout l’intérêt de l’ISS, ramener nos bioréacteurs. Parce qu’en règle générale, un satellite, on le lance et on ne le ramène pas.1 Depuis 2017, SpacePharma a réalisé huit vols sur l’ISS et le huitième vient de se terminer il y a quelques semaines, le 30 avril 2024.2 Cap Canaveral, Space X, docking fait avec la Station, labo qui transmet lui-même son état de marche ON à la Terre, transmission, retour sur Terre, amerrissage en Floride… Tout s’est bien passé et pendant le temps de mission, tout a été entièrement télécommandé à partir du sol à partir d’une application smartphone. La station de réception des données est localisée en Suisse, près du siège de la société. »
Se servir d’un environnement disruptif pour innover plus vite…
C’est fou ce qu’on peut mettre dans 0,002 m³. Microscope, spectromètre, nanosenseurs… Vive la télémétrie ! Pas forcément besoin de ramener la boîte à chaussures du moment que les données collectées en l’air sont transmissibles sur Terre mais bon, on trouve toujours des extras lorsqu’on arrive à faire rentrer la bête. Paul explique : « On est capable d'étudier plusieurs propriétés de cellules avec des nanosenseurs qu'on ajoute ou qu’on retranche en fonction des besoins. On a commencé avec une orientation pharmaceutique. Nos mini-usines sont pour autant susceptibles de s’adapter à toutes les champs d’application des sciences de la vie. Par l’optimisation des cultures cellulaires, on peut faire des biotechnologies, de la nutrition, des cosmétiques, des médecines régénératives… »
Mais quel est l’intérêt de travailler dans l’espace ? Et pourquoi faire en l’air ce qui se fait déjà sur Terre dans des laboratoires au sol ? La réponse réside dans les caractéristiques inhérentes à un environnement sans gravité. Un tel environnement est complètement différent d’un environnement terrestre en termes de physique, de chimie et de biologie. L’absence de gravité est éminemment disruptive et pour le coup, dans cet environnement spatial si particulier, les phénomènes et interactions entre matières se passent différemment. L’expression des gènes par exemple. Le vieillissement est accéléré dans l'espace, la virulence des bactéries est différente. Certains process sont accélérés, d’autres sont freinés, certains sont annulés. Et c’est lorsque l’on analyse les gènes qui sont à l'origine de ces ajustements de process dans l’espace qu’en comparant avec les process qui se passent sur Terre, on arrive à développer et à tester de nouvelles thérapies. Aujourd’hui, c’est un champ infini d’expérimentation qui s’ouvre. Il y a tellement de choses à découvrir. Et comme on ne peut pas reproduire strictement la zéro gravité sur Terre, il n’y a que là-haut que ça peut s’appliquer…
L’enthousiasme de Paul est contagieux. Cet ingénieur en électronique et radiocommunication s’est étoffé très tôt d’une casquette de docteur en radar-astronomie en décrochant un PhD au MIT dans les années 1980. Déjà pionnier dans son travail de thèse, ses travaux de niche sont les premiers qui documentent les caractéristiques solides des noyaux des comètes. Paul rejoint ensuite le centre technique de l'Agence spatiale européenne aux Pays-Bas puis l’Aérospatiale (et Alcatel puis Thales Alenia Space au fil des recompositions). Entre les deux, court passage à Sophia Antipolis chez Thomson SODETEG. En 2015, il quitte ses fonctions de vice-président en charge des affaires européennes chez Thales Alenia Space et prend une casquette de consultant pour l’Agence spatiale européenne. C’est au Paris Space Week de 2018 qu’il rencontre SpacePharma. Cette année-là, la société venait de remporter l’Innovation Challenge. L’entreprise avait alors quatre ans d’existence, elle venait d’effectuer sa première mission spatiale et ses ambitions étaient exponentielles. Après deux ans de collaboration en tant que consultant, Paul rejoint officiellement l’équipe.
Des enjeux éthiques, commerciaux et géopolitiques
L’expérimentation animale dans les sciences du vivant est rarement évoquée de manière transparente. Au vu de la perception du grand public, les scientifiques sont plutôt taiseux à ce sujet et les associations affichent un positionnement sans nuances. La piste des organoïdes offre dès lors un vaste champ d’opportunités dans le domaine pharmaceutique sous des oripeaux éthiques opportuns. Au vu du nombre d’animaux nécessaires aux essais pré-cliniques pour le développement d’un principe actif (plusieurs centaines de millions par an), tout ersatz non vivant devient bienvenu… Si le terme ″organoïde″ est encore absent du Larousse, il est entré en force dans le jargon scientifique et désigne une structure biologique qui reproduit les fonctions principales d'un organe. Pour Paul Kamoun, c’est une révolution qui s’annonce. « Dans l’espace, on est capable d'accélérer les essais précliniques sur des organoïdes au lieu de les faire sur des souris au sol. C’est un véritable enjeu éthique. Cela débouche aussi sur une médecine plus personnalisée car très concrètement, on peut embarquer dans l’espace des cellules de la personne qui a un problème à résoudre et travailler dessus. Ce qui est particulier là-haut, c’est que les processus se développent naturellement en trois dimensions, comme à l'intérieur du corps humain. Or quand on fait des expériences sur Terre, en laboratoire, on utilise des boîtes de Pétri mais c’est en deux dimensions, ou bien on utilise des souris. Dans les deux cas, ce n'est pas vraiment représentatif du corps humain. Les organoïdes aident à se rapprocher le plus des conditions du réel. » En 2023, la Food & Drug Administration, l’agence publique américaine de surveillance des médicaments, a autorisé pour la première fois la validation de protocoles qui n’utilisent pas d’animaux pour les essais pré-cliniques. L’Agence européenne des médicaments n’a pas encore franchi le pas mais ça ne saurait tarder.
Le risque est encore une fois de rater le virage. Comme pour les bases lunaires...3 Pour Paul Kamoun : « La période de probation R&D est déjà passée. Ce domaine d’innovation va s’ouvrir complètement sous peu. Il n’y a pas de temps à perdre. Ni pour les gens qui travaillent dans le domaine du spatial, ni pour ceux qui travaillent dans le champ de la santé, ni pour les investisseurs, ni pour l’Europe, ni pour la Suisse. Ceux qui ne rentrent pas dans cette révolution-là vont perdre des marchés gigantesques d’autant plus que nous sommes à une période où énormément de licences de médicaments arrivent à expiration et à partir de 2030, les stations spatiales privées vont remplacer l’ISS. Le virage de l’expérimentation spatiale marque un réel tournant pour les sciences du vivant. » À bon entendeur…
1 Pensée pour aborder enfin frontalement le sujet épineux des débris spatiaux en limitant le nombre de satellites en orbite de garage, la loi française sur les opérations spatiales (LOS) oblige à faire désormais rentrer sur terre les satellites qui sont lancés et/ou développés par la France. Adoptée en 2008, entrée en vigueur en 2010, il aura fallu attendre dix ans de plus pour que les mesures transitoires prennent fin en décembre 2020. SWOT est le premier satellite concerné par cette obligation de retour.
2 Le 21 mars dernier, un SPAd - un laboratoire miniature SpacePharma - a été opérationnel au sein de l’ISS jusqu’au 30 avril, date à laquelle un cargo SpaceX-30 Dragon l’a ramené sur Terre en le faisant amerrir proche de la Floride.
3 Interstellar…Va-t-on rater l’ère des missions habitées, SophiaMag #44
https://www.sophiamag.eu/article/interstellar-va-t-on-rater-lere-des-missions-habitees.2024.1708673533_65d849fda6e87
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