Trait de côte, accrétion, érosion...
des maux à prendre au sens littoral

Par Antoine Guy, 1 mars 2024 à 09:53

Polis

3 février 2023, Soulac-sur-Mer (Gironde). Une résidence de 78 appartements érigée en 1967 est démantelée par décision gouvernementale et par une pelleteuse géante. « La mer a repris ses droits, le rêve s’est transformé en cauchemar », dira un de ses pensionnaires. À la livraison en 1967, l’océan léchait la dune à plus de 200 m des balcons. Depuis la tempête Xynthia en 2010, il déferlait à moins de 15 m des rez-de-chaussée. L’avancée de la mer a vaincu la dune et la résilience des résidents, à raison de 8 m par an. L’immeuble, devenu symbole du recul du trait de côte, se nommait « Le Signal »… Coïncidence à méditer. SophiaMag a rencontré le Cerema, en la personne de Raymond Bourg, directeur adjoint du département Risques naturels, géologue et spécialiste des questions littorales.


Littoraux : affrontement ou coopération ?


« Sur la plage abandonnée… », quelques notes sucrées fredonnées en 1963 par Brigitte quelque part face à la baie de Saint Tropez. Prémonition ?


Effectivement, nul n’est assuré de retrouver toutes ces plages en l’état dans les décennies à venir. Force est de constater que bon nombre d’entre elles sont désormais menacées par la montée du niveau des océans, l’érosion et l’accélération des phénomènes météorologiques extrêmes. En fait se pose surtout la question globale de l’avenir des littoraux, conditionné par l’avancée ou le recul du « trait de côte », un nouveau venu dans le glossaire des innombrables opus consacrés aux effets du changement climatique.



Notre littoral métropolitain s’étire sur 5 500 km, et sur 14 500 km pour les territoires ultra-marins. Il concerne presque 1 200 communes et plus de 6 millions d’habitants. Quand économie et écologie s’entremêlent à ce point sur un territoire, d’aucuns peuvent craindre des règlements de compte à OK-littoral. Puissance océanique contre résistance anthropique, une affiche à haut risque où les gants ne servent à rien et où seul le mot « adaptation » semble pertinent.


Cerema : l’agence tous risques


Alors, pour éviter d’enfiler des bottes demain, il est urgent de se retrousser les manches aujourd’hui. C’est la mission du Cerema, dont une antenne existe à Sophia dans les locaux de l’ADEME. Partenaire des collectivités territoriales, cette agence propose précisément ses compétences pour les assister sur tous ces sujets. Cerema, un bel acronyme pour Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement, est un établissement public à caractère administratif placé sous la tutelle conjointe du ministre de la Transition écologique et solidaire, et du ministre de la Cohésion des territoires. « Créé en 2014, il emploie 2 400 experts et travaille sur toutes les thématiques liées à l’aménagement, dans le cadre de la prévention et des adaptations nécessaires requises par le changement climatique : ingénierie territoriale, bâtiments, mobilité, transports, environnement et risques, enfin mer et littoral », énonce Raymond Bourg.


Le Cerema fournit des services d’études et d’expertise aux collectivités qui le lui demandent, en particulier pour l’élaboration de leur Plan intercommunal de Sauvegarde, mais fonctionne aussi en appel à projets. Proche assez logiquement de l’Association nationale des Élus du Littoral, le Cerema et l’ANEL se sont mobilisés et ont lancé en 2019, un « Appel à partenaires Gestion intégrée du littoral ». Cette initiative a rassemblé à ce jour 17 projets de communes littorales, en métropole et en outre-mer, de Dunkerque à Grimaud, de la Martinique à Mayotte, où les parties prenantes ayant compris que leur futur côtier s’appelle « résilience », se sont mises autour de la table pour partager leurs façons d’anticiper, de surveiller, d’aménager, d’adapter, d’expérimenter, d’innover, convaincues qu’écrire sur le devenir de quelques plages blanches aujourd’hui évitera un livre noir demain.


Alpes-Maritimes : la mer a beaucoup donné, va-t-elle le reprendre ?


« Les Alpes-Maritimes, département littoral s’il en est avec un linéaire côtier de 185 km très urbanisé, appartiennent de facto aux façades maritimes françaises impactées en profondeur par la dynamique du trait de côte et le changement climatique », commence par dire Raymond Bourg. Depuis le milieu du 19ème siècle, l’Europe se presse sur ce littoral béni des dieux. Bon an mal an, ce tourisme balnéaire représente une moitié des revenus et de l’activité de la French Riviera. La question de la submersion des infrastructures ne peut en aucun cas être rayée d’un trait, surtout s’il est de côte. Comment imaginer folâtrer dans une Cannes privée de sa Croisette et de son Carlton, marivauder à Juan-les-Pins sans le soleil des terrasses du Belles Rives, humer la brise de Nice sans sa promenade et son Negresco ? De quoi doucher les espoirs des Maralpins quant à l’avenir de leur tourisme, à l’aune du « Comment osez-vous ! » vindicatif d’une Greta en colère.


La direction PACA du Cerema, implantée à Aix-en-Provence, est forte de 250 collaborateurs. « L’établissement basé à Sophia, avec ses quinze experts, s’occupe de mobilité décarbonée, d’infrastructure de transports, de risques (mouvements de terrain, sismique, inondations) et surtout évidemment de notre question cruciale, celle du littoral », ajoute Raymond Bourg. Le littoral, ce lieu fragile de la rencontre entre terre et mer, ce territoire historique des colonisations humaines, cet espace interface entre écologie et économie, recèle des enjeux cruciaux où émergent plus qu’ailleurs tous les risques causés par le réchauffement climatique.


Un arsenal législatif et méthodologique pour combattre !


La loi Climat et Résilience du 22 août 2021 contient une ordonnance (n° 2022-489, 6 avril 2022) relative à l’aménagement durable des territoires littoraux exposés au recul du trait de côte. Elle a pour but de faciliter la relocalisation progressive de l’habitat et des activités impactées par l’érosion. La méthodologie en vigueur au Cerema se résume assez simplement : « Définir l’aléa, son ampleur, et caractériser ensuite l’enjeu et la vulnérabilité de la zone », explique Raymond Bourg. Autrement dit, que risque-t-on et selon quelle probabilité d’occurrence ? Ensuite, si le problème survient, quels impacts, quels dégâts et comment les réduire, et précisément sur un plan économique et social ? « À l’époque de la tempête Alex nous avons rejoint le comité résilience mis en place par la Préfecture pour traiter tous les dossiers de reconstruction. Après des épisodes extrêmes comme à Biot en 2015, en 2019 nous relisons l’évènement et tirons les leçons pour l’avenir. »


Raymond Boug continue : « Depuis peu, à l’échelle nationale, le Cerema a défini un indicateur national de l’érosion côtière. Grâce à des comparaisons de photographies existantes (IGN en majorité) depuis plusieurs dizaines d’années et les travaux du réseau national des observatoires du trait de côte (imagerie satellite et lidar), nous disposons d’un état des lieux documenté de la dynamique des zones littorales, pour éclairer les politiques d’adaptation et d’aménagement. Les données relatives à cet indicateur sont en ligne et libres d’accès sur la plateforme www.monlittoral.fr ». En avril 2022, une liste de 126 communes littorales a été établie. Elles doivent dès maintenant choisir entre le maintien de leur plan de sauvegarde en cours, ou l’adaptation de leurs aménagements en actant du recul de leur trait de côte, à 30 ans et ensuite à 100 ans. Un exercice prospectif inédit ! Depuis septembre 2023, la liste a grandi pour atteindre 242 noms… le Cerema considère que 20 % de nos côtes reculent.


L’aménagement côtier maralpin typique à adapter : voie ferrée, route, murette, plage


Raymond Bourg illustre ensuite son propos par un exemple local, celui de la route du bord de mer entre Antibes et Villeneuve-Loubet. « Cette voie est maintenant fermée régulièrement plusieurs jours de suite à cause des tempêtes qui empêchent les usagers de circuler, et doit être ensuite débarrassée du sable et des galets apportés par la mer. Sa situation est représentative des Alpes-Maritimes, où nous avons en général une voie ferrée, une route, une murette et ensuite la plage, plus ou moins profonde. Avec notre méthode, nous faisons des projections à 30 ans, puis à 100 ans. Cette route pourra peut-être être réduite à une seule voie, puis devra vraisemblablement disparaître. Nous devons absolument prévoir les impacts économiques et sociaux pour les populations à ce moment-là, en prenant en compte les modalités de mobilité, présentes et futures. Idem pour la voie ferrée… ce sont des dossiers qui prennent des années avant d’arriver à une conclusion, mais qu’il convient d’ouvrir dès maintenant », termine-t-il. Signe des temps, la législation en cours permet de signer des baux temporaires à 30 ans sur les zones côtières, où le pétitionnaire s’engage dès la construction de son bien, à prendre en charge sa destruction au terme du bail.


Patience et longueur de temps feront plus que force ni que rage


« Ici, nous avons soit des falaises soit du sable, mais en cœur de ville, la question reste : est-ce qu’on protège ou est-ce qu’on délocalise ? Ce sont les études économiques qui emportent la décision », synthétise Raymond Bourg. De plus en plus les services de l’État accordent des autorisations d’aménagement privilégiant les désormais célèbres SFN, les Solutions fondées sur la Nature. « En fait les aménagements en dur concernent des zones peu étendues, les ports par exemple. Pour le reste, le recul du trait de côte étant anticipé, il convient de jouer sur les courants, les phénomènes d’hydro-sédimentation, les posidonies du fond qui cassent la houle… et toutes ces possibilités données par la nature elle-même pour accompagner une adaptation en douceur. N’oublions pas que nous travaillons sur 30, 50, ou même 100 ans pour devenir résilients. »


Entre la pelleteuse et dame nature, le choix apparaît évident. « Allons-y lentement, nous sommes pressés », lança dit-on monsieur de Talleyrand à son cocher. Nous ne vaincrons pas la fureur de Poséidon. Nous l’accompagnerons humblement, si possible avec Sophia, sur le chemin de la « sagesse ». Muni de son trident, il nous a d’ailleurs déjà donné « Le Signal » du départ.

Parution magazine N°44 (mars, avril, mai)

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