Une journée à l’opéra cosmique
Planète bleue

Vues aériennes de Titan © ESA, NASA, JPL, University of Arizona
14 janvier 2025. Le site cannois de Thales Alenia Space s’est mis sur son 31. Nous sommes invités à effectuer un voyage dans l’espace et dans le temps, pour célébrer l’anniversaire des vingt ans de la descente de la sonde Huygens sur la mystérieuse Titan, la plus grosse lune de la non moins mystérieuse Saturne, astre gazeux géant paré comme un seigneur, de ses anneaux.
Cassini-Huygens, un succès au-delà des espérances
Titan, découverte par l’astronome néerlandais Christian Huygens en 1655, méritait bien pour la première ambassade terrienne une sonde éponyme. Le record de la mission Cassini-Huygens tient toujours aujourd’hui. « Il s’agit de l’atterrissage le plus lointain réalisé dans notre système solaire d’un objet terrestre et la survie pendant plus de trois heures au sol d’une sonde prévue pour une descente uniquement », souligne Patrice Couzin, responsable avionique puis Système de Huygens à Thales Alenia Space, l’un des pères de la sonde… Fierté européenne, en grande majorité cannoise, à qui l'on doit les premiers clichés de la surface de Titan.
Cette mission a allumé dans les yeux des vétérans cannois qui l’ont menée de 1997 à 2017 des étoiles de satisfaction et semé quelques touchantes larmes de nostalgie. À la fois célèbre et emblématique, Huygens, en signant une grande première, témoigne de l’audace et de la qualité des ingénieurs, de la variété des projets qui, depuis les premiers tours d’hélice des biplans Romano en 1929, ont fait passer le site cannois à la postérité. Un siècle après, le bois et la toile ont été remisés au musée des lointains souvenirs et les moteurs, qui ne sont plus en étoile depuis longtemps, autorisent désormais d’en explorer certaines banlieues.
Invitation au voyage
Le lancement de l’odyssée du jour a lieu à Cannes. Les visiteurs sélectionnés sont accueillis dans la salle d’enfilage des combinaisons. Ici, on ne plaisante pas : blouses, charlottes, surchaussures. Une fois renippés, nous pénétrons dans une salle propre érigée à la gloire de la technologie spatiale, où le vertige des hauteurs de plafond rivalise avec l’exotisme des futures structures spatiales en cours d’assemblage. Apprentis spationautes d’un jour, nous découvrons les modules du grand vaisseau où s’affairent les techniciens, ces salles propres aseptisées, à la fois rêve de ménagère et cauchemar d’un représentant Dyson. La moindre particule de poussière indésirable, pareille à un photon gloutonné par un trou noir, disparaît dans les bouches d’aspiration des faux-plafonds de ce laboratoire pour géants.
La mission débute sur le pas de tir avec Bertrand Denis, vice-président des activités Observation, Science et Exploration. Nous nous tenons au pied d’un moyen de test de 550 m3, capable de recréer le vide spatial et de simuler, selon des cycles programmés, les écarts de température rencontrés dans l'espace : des valeurs proches du zéro Kelvin (refroidissement par une impressionnante machinerie à l’azote liquide) et des chaleurs comparables à celui d’un four à socca, soit 180 °C. « Nos métiers en salles propres s’organisent autour de trois lettres : A.I.T., acronyme pour Assemblage, Intégration et Test », déclare Bertrand Denis. « Pour valider nos livrables nous les testons selon des cycles variations en température dans le vide, dans le bruit et enfin en vibrations, selon les trois axes ».
Une obligation de résultat par tous les moyens
Ici, le mot « projet » semble rarement usité. On parle plutôt de « mission », noblesse oblige. Bertrand, pédagogue, précise que les missions d’exploration dont Thales Alenia Space est - ou a été - partie prenante, se répartissent en deux catégories, « celles dévolues à l’exploration des corps célestes, et les autres, dédiées à la compréhension de l’univers ». Il cite alors pêle-mêle, EnVision, une mission prévue en 2031 pour comprendre pourquoi Vénus, proche de la Terre, a évolué si différemment, ExoMars 2028 pour aller étudier la surface de la planète rouge en y déposant notamment un astromobile1.
S’agissant de la deuxième catégorie, il évoque les télescopes spatiaux Planck et son frère Herschel, tous deux progénitures de l’ESA2. Fidèles et disciplinés, ils ont sondé l’univers jusqu’en 2013 pour enquêter sur ses origines depuis le Big Bang et mieux comprendre la formation des étoiles. Euclid, bijou de technologie, lancé en juillet 2023, a commencé récemment à travailler pour répondre aux nombreuses questions sur la matière et l’énergie noires, sur la naissance de l’univers et son expansion. Enfin il conclut par la mission PLATO3, qui à la suite de la mission CoRoT4, va rechercher pendant quatre, peut-être six années, des exoplanètes dans la voie lactée.
Première étape... Un cossu pied-à-lune
Ingénus Petits Princes sautant d’un astéroïde à l’autre, nous quittons la Terre pour nous rapprocher de la Lune et visiter les premiers éléments de la Gateway, stupéfiant projet de station spatiale lunaire habitable piloté par un consortium international regroupant une centaine d’acteurs, agences spatiales et industriels. Elle gravitera autour de notre satellite naturel dans le cadre de la grande mission Artemis qui envisage de faire revenir l’homme sur la Lune à partir de 2027. Inspirée de la vénérable ISS, ce beau meublé a une vocation de vestibule pour les spationautes, ceux qui aluniront et les autres qui continueront vers Mars. Thierry Banos et Jean-Luc Petit, responsables des modules Lunar Link et Lunar View, expliquent conjointement : « La Gateway suivra une orbite elliptique dite « de halo » en six jours. Son apogée, située à 60 000 km du pôle sud de la Lune, sera très pratique pour recevoir les arrivées terriennes, et son périgée culminera à quelques centaines de km au-dessus du pôle nord, facilitant les alunissages ». C’est d’ailleurs les pôles qui seront explorés en priorité puisque certains de leurs cratères devraient renfermer de la glace.
Thales Alenia Space développe aujourd’hui Lunar Link, le module de communication voix-données-vidéo haute définition avec les futurs objets d’exploration de la Lune comme les rovers. De là à dire que les colons luniens auront NetFlix… ce n’est pas prévu mais plausible ! D’autres ingénieurs assemblent Lunar View, un module stratégique de stockage et de ravitaillement de la station. Détail important, ce loft à la fois spécial et spatial, comportera six hublots pour admirer l’univers, d’où son nom. Remise des clés courant 2030.
Infatigable et plébiscité architecte d’intérieur maîtrisant l’assemblage de modules habitables, Thales Alenia Space développe également à Turin le module i-Hab (International Habitation Module), une extension qui portera le volume total de cette résidence pas du tout secondaire à 125 m3. Les équipes développent aussi la structure du module d'habitation et de logistique HALO (Habitation and Logistic Outpost) pour le maître d’œuvre américain Northrop Grumman.
À la recherche d’étoiles flippantes
Nous continuons benoitement notre odyssée. Catherine Vogel, responsable de la mission PLATO (transits planétaires et astérosismologie), nous reçoit avec son assemblage inédit de 26 caméras à CCD (Dispositif à Couplage de Charge) monté sur un module de service, prévu pour rejoindre le « point de Lagrange 2 ». Non, nous ne sommes pas dans une ferme... Il s’agit d’un des points d’équilibre entre l’attraction du soleil et de la Terre, permettant de minimiser les efforts consentis par le satellite pour maintenir sa position. Le L2 ou point de Lagrange n°2 (1,5 millions de km, voyage d’un mois, lancement prévu en 2026 grâce à une fusée Ariane 62) accueillera PLATO. « Ainsi il observera facilement d’un côté la voie lactée, et de l’autre, ses panneaux solaires disposeront en permanence de la bonne orientation tout en servant d’isolant pour éviter la surchauffe des appareils trop exposés au rayonnement du soleil », précise-t-elle.
Débusquer une exoplanète consiste à analyser des variations faibles mais régulières sur une période de deux ans de la lumière d’une étoile lointaine, preuve du passage d’un objet massique aux caractéristiques proches de celles de la Terre à proximité et dont l’orbite dure une année. PLATO, pour réussir sa mission, visera un point précis pendant très longtemps avec une stabilité maximale, soit l’équivalent « de viser un grain de sable à une distance d’1 km pendant trois mois », déclare Catherine. La clé de la réussite : la maîtrise simultanée des déformations thermiques, des roues à inertie et de l’atténuation des micro-vibrations. « PLATO, la plus grosse matrice CCD envoyée dans l’espace, enverra vers la Terre toutes les 25 secondes une image post-traitée pesant 2 gigabits… », ajoute-t-elle. Cet observatoire permettra de découvrir s’il existe une autre Terre dans l’Univers.
En avant, Mars !
Nous reprenons notre voyage. Objectif Mars, une balade de 110 millions de km. Cette fois-ci, Jean-Philippe Chambelland, responsable de la mission ExoMars à Cannes, nous accueille. COVID et guerre en Ukraine ont perturbé le calendrier… Il a glissé d’une décennie, de 2018 à 2028, en devant faire sans le partenaire russe qui ne pouvait plus en être un. Jean-Philippe déclare : « Le rover martien sera hébergé dans une capsule conique et cannoise ». Nous la découvrons, recouverte de trente couches de fibres de carbone patiemment stratifiées sur un gabarit rutilant. Pour cette mission, Thales Alenia Space mobilise et valorise son expertise unique en « descendeur » acquise notamment lors de la mission Cassini-Huygens, comprenez tout le savoir-faire autour des boucliers thermiques, du déploiement automatique de parachutes lors d’une descente dans une atmosphère hostile, puis de l’allumage de rétrofusées… pour éviter tout simplement que la mission échoue en s’écrasant à l’arrivée.
Retour au vestiaire, décompression et déshabillage
L’heure de la fin du périple a sonné. Quand l’objectif présente à ce point une porosité avec des rêves d’enfant mais qu’il requiert en même temps une rigueur plus que chirurgicale, on comprend combien, ici, métiers et passions se confondent, défis et envies se courtisent, esprit de corps et fierté de l’accomplissement fraternisent. Du point de vue du simple observateur que nous sommes, avec juste nos deux pauvres pieds sur terre, ces assemblages bourrés de superlatifs, cette maîtrise olympique de la complexité, ces organisations tentaculaires sont vertigineux, irréels. L’obligation de résultat et l’hyper fiabilité ne se décrètent pas l’espace d’un instant. Elles se construisent patiemment, mission après mission, grâce à une fascinante coopération internationale et alimentée par une communauté astrophysicienne relativement insatiable.
Homo pas toujours sapiens, mais de plus en plus spatiens
Notre espèce est décidément bien curieuse. Elle peine à s’entendre pour protéger sa survie dans sa propre maison, mais dans une volonté irrépressible de comprendre son univers et ses origines, elle déploie des trésors d’humanité et d’intelligence pour l’explorer.
Après tout, c’est déjà ça.
1. Baptisé « Rosalind Franklin », en hommage à cette Britannique pionnière de la biologie moléculaire décédée prématurément à 38 ans en 1958. On lui doit les premières formulations de l’ADN, avant Watson et Crick. Une belle manière de la réhabiliter.
2. ESA : European Space Agency – Agence spatiale européenne.
3. PLATO: PLAnetary Transits and Oscillations of stars. Mission prévue pour un lancement fin 2026. Plato est l’orthographe anglaise de Platon, un philosophe grec qu’on ne présente plus.
4. CoRoT : Convection, Rotation et Transits planétaires. Mission commencée en 2007 et achevée en 2014.
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